À la tête de la BCE, Mario Draghi est à même de concilier l’austérité requise par l’indispensable désendettement des états et la croissance.
L’Italie tient désormais lieu de test pour la survie de l’euro, dont la crise menace de plonger le monde dans la récession. Elle est en effet au cœur des déséquilibres qui minent la monnaie unique.
- Le financement des États surendettés, qui doivent lever 800 milliards d’euros sur les marchés en 2012 alors que pointe à nouveau le spectre du défaut de la Grèce. Or l’Italie présente la 4e dette mondiale (1 900 milliards d’euros) et un besoin de financement de 240 milliards pour 2012.
- Le redressement de la croissance, au moment où la zone euro rechute dans la récession (- 0,4 % pour 2012). Or l’activité stagne depuis plusieurs années dans la péninsule, désormais devancée par le Brésil, sur fond de vieillissement démographique, de chute de la compétitivité, de déliquescence de l’État et de désintégration de la nation.
- Enfin, la divergence entre l’Europe du Nord et du Sud, l’incapacité des pays méditerranéens à se réformer. Or l’Italie fut un des laboratoires du changement dans l’Europe du XXe siècle : invention du fascisme, de la partitocratie ou de la médiacratie avec Silvio Berlusconi, qui cumulait la présidence du gouvernement, la première fortune du pays et le contrôle des principaux médias ; la montée puis l’implosion du gouvernement des juges avec « Mani pulite » ; le miracle de l’après-guerre, le lancement du Marché commun puis l’épuisement du modèle économique national sous l’effet du surendettement de l’État (120 % du PIB), du poids de l’État-providence (les retraites absorbent 14,6 % du PIB) et des corporations, des inégalités territoriales indissociables de la prégnance de l’économie souterraine et mafieuse (20 % du PIB).
La doublette des Super Mario, Monti et Draghi, a entrepris de transformer l’Italie et la zone euro. Mario Monti a engagé depuis novembre 2011 une thérapie de choc qui se déploie sur trois fronts. Le premier vise le rétablissement de l’équilibre budgétaire en 2013, grâce à un plan d’austérité de 63 milliards d’euros pouvant être porté à 80 milliards. Le deuxième repose sur la libéralisation de l’économie avec la suppression le 27 janvier de 333 lois inutiles et l’ouverture des activités réglementées (avocats et notaires, pharmacies, énergie, stations-service, assurance, taxis…), qui devrait générer 2 points de croissance et 10 de productivité tout en rendant 1 000 euros par an à chaque famille. Le troisième, européen, entend soutenir la croissance et faire baisser le coût du financement des dettes publiques à travers un accord avec l’Allemagne. Le pari de Mario Monti peut réussir, car l’Italie dispose d’atouts majeurs : la réforme de la fonction publique et des retraites, dont l’âge légal a été porté à 67 ans ; la stabilité de la dette publique depuis dix ans associée à un excédent primaire de 1,8 % du PIB ; une industrie forte représentant 21 % de la valeur ajoutée (contre 14 % en France) et un tissu dense de PME exportatrices ; une durée effective du travail élevée, une main-d’œuvre très qualifiée et un chômage contenu à 8,6 % de la population active.
Mario Draghi, sous une continuité de façade, a fait prendre à la BCE le contre-pied de la stratégie déflationniste poursuivie contre toute raison par Jean-Claude Trichet. Il met en oeuvre une stratégie monétaire efficace de financement des États, des banques et de la croissance. Sous son impulsion, la BCE a ainsi divisé par deux ses taux d’intérêt, laissé baisser l’euro et surtout lancé un programme massif de financement à moyen terme des banques européennes, qui ont bénéficié de 489 milliards d’euros de liquidités à 1 % sur trois ans. Mario Draghi fait ainsi coup double, réassurant le système financier européen tout en permettant un financement indirect des dettes publiques par les banques. Il lui reste à définir la contribution de la BCE au sauvetage de la Grèce. Avec la lente mais nette reprise des États-Unis, la réorientation de la politique monétaire européenne compte donc parmi les rares bonnes nouvelles du début de l’année 2012.
L’Italie ouvre la voie à la réforme des modèles de croissance à crédit de l’Europe du Sud et des institutions de la zone euro. La thérapie de choc engagée par Mario Monti peut lever les doutes sur la capacité des pays méditerranéens à convertir leur modèle économique vers la production, l’investissement et l’innovation. La politique monétaire mise en œuvre par Mario Draghi est à même de concilier l’austérité requise par l’indispensable désendettement des États et la croissance. Toutes deux ont l’immense mérite de rappeler qu’il reste des marges de manœuvre. La crise des pays déficitaires et de la zone euro découle de modèles économiques et d’institutions obsolètes qu’il ne dépend que des Européens de transformer. En revanche, les réformes italiennes isolent un peu plus la France. Celle-ci, par la voix de tous les principaux candidats à la présidence de la République, entend à l’inverse pérenniser la croissance à crédit à travers la préférence pour la dépense publique, l’étatisme et le protectionnisme, l’euthanasie des entreprises sous le poids des prélèvements fiscaux et sociaux. Au risque de se couper, comme en 1981, de la reprise et de la zone euro. Une zone euro qui n’est plus divisée entre le Nord et le Sud, mais entre les pays qui se réforment et ceux qui décrochent.
(Chronique parue dans Le Point du 02 février 2012)