Le gouvernement se trompe de diagnostic, de stratégie, de méthode et de calendrier.
Sous le drame social de la fermeture de l’usine d’Aulnay pointent l’effondrement de l’industrie nationale et le krach du site France. Certaines faillites d’entreprises, par leurs conséquences systémiques ou par leur valeur symbolique, se confondent avec les grandes crises et acquièrent une dimension historique. Ainsi en alla-t-il de Creusot-Loire dans les années 80, du Crédit lyonnais dans les années 90, d’Enron au début des années 2000 ou de Lehman Brothers en 2008. Ainsi en va-t-il aujourd’hui de PSA. Au-delà des erreurs d’un constructeur resté isolé et du choix d’une montée en gamme très risquée, au-delà des contraintes d’un actionnariat familial, au-delà de la dimension européenne de la crise de l’automobile avec des capacités de production utilisées à 74 %, contre 90 % aux États-Unis, PSA se trouve dans une situation critique parce qu’il produit encore en France 44 % de ses véhicules et qu’il les vend en Europe à hauteur de 60 %.
Aulnay illustre la débâcle de l’industrie nationale. Une industrie dont la production est inférieure de 10 % à son niveau de 2007 et qui a perdu 2 millions d’emplois en vingt ans. Une industrie frappée par l’emballement des faillites, notamment des PME, qui créent 80 % de l’emploi. Une industrie dont les positions se sont effondrées dans le monde, avec des parts de marché ramenées de 5,5 à 3,5 % en vingt ans, comme en Europe, avec des exportations limitées à 12 % de celles de la zone euro, contre 18 % en 1990. Avec à la clé un déficit commercial record de 70 milliards d’euros en 2011. L’euthanasie de l’industrie française découle de l’effondrement des profits, avec un taux de marge de 28 %, qui atteint son plus bas niveau depuis 1985. Elle est indissociable de la dégradation de la compétitivité du site France en raison de l’envolée des coûts du travail et des prélèvements fiscaux et sociaux. L’heure de travail s’élève à 35 euros en France, contre 31 en Allemagne, 27 en Italie, 20 au Royaume-Uni et en Espagne. Et le différentiel des charges supportées face à l’Allemagne culmine à 80 milliards d’euros.
L’industrie française est en train de mourir d’une série de chocs provoqués par la politique économique depuis deux décennies. Son environnement a certes été bouleversé par la mondialisation et le décollage des pays émergents, par le grand marché, la réunification du continent européen et la révolution des technologies de l’information. Mais la rupture s’est faite autour de la préférence nationale pour la consommation contre la production, pour l’impôt et la dépense publique contre l’entreprise, en contradiction avec les exigences de la monnaie unique et les réformes engagées en Europe du Nord. Le site France a été dévasté par une série de chocs ravageurs : choc du franc fort puis d’un euro surévalué ; choc de la loi des 35 heures ; choc de la récession en 2008, puis de l’effondrement réglementaire du crédit à partir de 2010 ; choc fiscal avec une hausse des prélèvements de 20 milliards d’euros depuis 2010, auxquels Hollande entend ajouter 19 milliards.
François Hollande, en s’inscrivant dans la continuité de deux décennies d’erreurs, est sous la menace d’un effondrement historique de l’appareil de production. Les carnets de commandes du second semestre 2012 se vident. Le coût du travail et des approvisionnements poursuit sa course. Les financements sont bloqués par l’arrêt du crédit bancaire et la dégradation des marchés. L’explosion des faillites et des licenciements est programmée. Or le gouvernement se trompe de diagnostic, de stratégie, de méthode et de calendrier. Erreur de diagnostic, car le fondement ultime de la crise française réside dans le déficit commercial et la chute de la compétitivité, ensuite seulement dans le déficit et la dette publics qui en sont la conséquence. Erreur de stratégie, avec l’accent placé sur la réhabilitation de l’impôt ciblé sur les entreprises, qui va déclencher une récession, achever de ruiner l’appareil de production et provoquer une explosion du chômage : la chute de la base fiscale ira plus vite que la hausse des taux, aggravant le déficit des comptes publics et de la balance commerciale. Erreur de méthode, avec une tactique de contournement qui affiche des objectifs sociaux alors que la priorité doit aller à la compétitivité. Erreur de calendrier, avec le choix de donner du temps à la négociation sociale alors que le redressement relève de l’extrême urgence.
La priorité absolue va à un plan de sauvetage du site France. La crise de PSA constitue un électrochoc qui doit convaincre les Français et leurs dirigeants de la nécessité d’un choc de compétitivité. Il passe par un pacte productif au service des entreprises, qui doivent cesser d’être considérées comme des poches profondes destinées à alimenter la dépense publique pour se voir réhabilitées en tant que bien commun national. La baisse du coût du travail est vitale. Elle justifie le transfert du financement des allocations familiales vers la TVA – ce qui équivaut à une mini-dévaluation – ou à défaut vers la CSG. Mais tous les autres leviers doivent aussi être mobilisés. Réactivation des financements par les banques et les assurances via la révision des normes de Bâle III et Solvabilité II, mais aussi par l’épargne, avec l’arrêt de la folle inflation des prélèvements. Diminution du coût de l’énergie, avec l’exploration des gaz de schiste. Déréglementation massive, à l’image de la politique engagée par Mario Monti en Italie. Soutien des pouvoirs publics à l’innovation. Organisation en filières de production. Ce pacte productif doit avoir pour pendant un pacte social alliant flexibilité de l’emploi et sécurité des salariés, et un pacte européen relançant la stratégie de Lisbonne et réorientant la politique de la concurrence. La compétitivité est non seulement la clé de la croissance et de l’emploi, mais aussi celle du progrès social, de la cohésion et de la souveraineté nationales. Sans choc compétitif, le krach du site France, c’est maintenant.
(Chronique parue dans Le Point du 19 juillet 2012)