L’occident n’a plus le monopole de la croissance molle. La dynamique de rattrapage qui fondait le miracle des émergents s’essouffle.
La crise reste devant nous dans le monde comme en Europe. Le ralentissement général de la croissance souligne que la déflation contenue depuis 2008 demeure à l’œuvre. Elle bloquera l’activité et l’emploi tant que le désendettement ne sera pas réalisé, ce qui demandera au moins une décennie. Endiguées dans un premier temps par le plan de relance conduit par le G20 à l’échelle de la planète, les forces dépressives refont surface avec l’épuisement de la politique conjoncturelle, ligotée par le surendettement des États, qui atteint 105 % du PIB des pays développés. La croissance et le commerce international ne progresseront que de 2,5 % en 2012 et de 3 % en 2013, au sein d’un capitalisme universel qui exclut tout découplage. Aux États-Unis, la reprise plafonne à 2 % et se trouve sous la menace des 1 200 milliards de dollars de coupes budgétaires prévues pour 2013 à défaut d’accord sur la réduction des déficits publics. Le Japon vacille sous le poids d’une dette publique de 230 % du PIB, qui peut exploser avec le déclin de son modèle industriel et énergétique, l’apparition du premier déficit commercial depuis 1981, la baisse inéluctable de l’épargne nationale qui porte 94 % de la dette, sous la pression du vieillissement. L’Europe est le maillon le plus faible, qui cumule retour à la récession (- 0,5 % en 2012) et chômage de masse, crise des risques souverains et effondrement du crédit bancaire, risque systémique d’éclatement de la zone euro, enfin. Mais l’Occident n’a plus le monopole de la croissance molle. À l’exception de l’Afrique, la dynamique du rattrapage qui fondait le miracle des émergents s’essouffle avec les difficultés du monde développé et la montée des déséquilibres internes. Le rythme de progression annuelle de l’activité est ainsi revenu de 10,5 à 7,5 % en Chine, de 8,5 à 5 % en Inde, de 5 à 2 % au Brésil.
La mondialisation entre dans une phase critique où les risques sont multipliés par la fragmentation de la puissance et l’absence de leadership. Dans les pays développés, l’enfermement dans la croissance molle et le chômage structurel font le jeu des populismes. Dans le monde émergent, la sortie du cycle de haute croissance alimente les révoltes sociales et favorise les surenchères nationalistes, à l’image de la crise qui oppose la Chine et le Japon à propos des îles Senkaku. Sur le plan géopolitique, le programme nucléaire militaire iranien crée une menace latente de choc pétrolier, tandis que les conflits pour l’accès aux matières premières stratégiques et à l’eau se multiplient. Toutes ces évolutions confortent la remontée du protectionnisme, qui touche désormais 3 % des échanges, la dislocation et la renationalisation des systèmes financiers, la tentation de recourir aux dévaluations compétitives. Soit autant de périls mortels pour la mondialisation. Le risque de guerre commerciale et monétaire est à son plus haut. Et ce d’autant plus que la coopération qui a prévalu après la faillite de Lehman Brothers s’est délitée. Le G20 se dégrade en rituels vides de décisions et affiche son impuissance à réguler la finance. Toutes les négociations qui se sont nouées depuis 2000 ont débouché sur des échecs : cycle de Doha au sein de l’OMC ; conférence de Copenhague sur l’environnement, dont le seul résultat est le démantèlement du protocole de Kyoto ; désarmement au sein de l’Onu. A cela une raison majeure : dans un monde où le capitalisme est universel, mais où les valeurs et les institutions demeurent antagonistes, les facteurs de puissance se disséminent entre des acteurs plus variés et nombreux, mais la réassurance par une puissance globale défendant ses intérêts tout en prenant en charge la stabilité du système mondial a disparu.
L’innovation, les réformes et la coopération sont les clés d’une sortie de crise pacifique. Des progrès sont intervenus dans la conversion des modèles nationaux et la réduction des déséquilibres planétaires. Les plus spectaculaires se situent aux États-Unis, qui ont rétabli la rentabilité des entreprises, réinventé leur modèle énergétique grâce aux gaz de schiste et aux modes renouvelables, recapitalisé et restructuré les banques, purgé la bulle immobilière et désendetté les ménages, dont le patrimoine a recommencé à croître en 2012. En Europe, la révolution de la BCE, les avancées de l’union budgétaire et bancaire, la libération de pouvoir d’achat au nord, l’ajustement et les réformes au sud – à la tragique exception de la France – jettent les premiers jalons d’une sortie de crise. Dans les pays émergents, la montée des nouvelles classes moyennes, qui rassembleront 2,5 milliards d’hommes en 2025, se poursuit et les changements s’affirment : priorité à la consommation, lutte contre les inégalités et instauration d’une protection sociale en Chine ; libéralisation et ouverture aux investissements étrangers en Inde ; plan de modernisation des infrastructures associant les financements privés au Brésil. Trois enseignements se dégagent. Les gains de productivité du travail et du capital, favorisés par la mobilisation de l’épargne au service de l’investissement et de l’innovation, sont les leviers de la croissance et, donc, l’antidote au surendettement. La capacité des États et des continents à se réformer conditionne la sortie de crise et décidera de la future hiérarchie des puissances. L’issue pacifique à la déflation par la dette de la fin des années 2000 dépend de la mise en échec durable du protectionnisme et de la guerre des monnaies par la coopération entre États et continents.
(Chronique parue dans Le Point du 04 octobre 2012)