Le ciel s’éclaircie pour l’économie mondiale. Une reprise qui permet de tirer sept leçons sur cette mondialisation.
L’économie mondiale voit se dessiner une nouvelle donne depuis le printemps 2013. Elle fait coexister la reprise et l’apparition de risques liés à la grande rotation des capitaux et à la géopolitique de la mondialisation. La reprise mondiale dépend de trois conditions. Le retour d’une croissance tirée par l’investissement productif et par la diminution du chômage dans les pays développés. L’amorce de normalisation des politiques monétaires très expansionnistes fondées sur les taux zéro et sur des achats massifs d’actifs qui furent mises en place à partir de 2008 pour enrayer la spirale déflationniste. La réduction des déséquilibres structurels des balances de paiements.
Ces trois exigences se trouvent réunies, bien que de manière inégale. Les États-Unis ont retrouvé le chemin d’une croissance stable autour de 2,5 % et ont réduit le chômage à 7,5 % de leur population active grâce aux gains de productivité du travail, à la baisse du coût de l’énergie et aux investissements dans les hautes technologies. Le Japon est en passe d’échapper à la déflation avec une activité en hausse de 2,6 % tout en restant sous la menace d’une dette publique pharaonique (245 % du PIB) et d’un déficit commercial qui a doublé en un an. La zone euro est sortie de récession mais demeure bridée par la montée du chômage et l’absence de restructuration du secteur bancaire. La relance est nettement plus nette au Royaume-Uni où la croissance s’élève à 1,5 % (2,7 % prévus en 2014) sur fond d’une inflation maîtrisée (2 %) et d’une diminution du chômage (7,8 %).
La reprise globale justifie le freinage progressif de la création monétaire qui a tenu à bout de bras l’économie mondiale depuis 2008. L’annonce de la future normalisation de la stratégie d’assouplissement quantitatif par la Fed a lancé un lent mouvement de hausse des taux d’intérêt qui n’a pas débouché pour l’heure sur un krach obligataire. En revanche, il en est résulté un choc monétaire sur les pays émergents qui amplifie leur ralentissement, avec pour conséquence un rééquilibrage dans les flux commerciaux et financiers.
Après six ans de crise aiguë du monde développé qui contrastait avec la croissance intensive des émergents pointe une nouvelle configuration. Elle est dominée par la réinvention du modèle économique des États-Unis, sous réserve de leur capacité à explorer les terres inconnues que constituent l’atterrissage en douceur des politiques monétaires non conventionnelles, la maîtrise de la dette publique et la gestion des dysfonctionnements aigus de leur système politique. La zone euro et le Japon s’éveillent d’un long coma. Les émergents, à l’inverse, sont rattrapés par la crise. Crise économique avec la chute de la croissance tombée à 7,4 % en Chine, 4 % en Inde, 2 % en Russie et 1,5 % au Brésil. Crise monétaire avec la chute de 25 % de la roupie indienne, de 15 % du réal brésilien, de 10 % du rouble russe. Crise financière avec le rapatriement en Occident du quart des quelque 3 900 milliards de dollars d’investissements étrangers qui avaient afflué vers les pays du Sud depuis quatre ans. Le dernier élément est à chercher dans l’effondrement économique des pays arabo-musulmans en raison des troubles et des mouvements révolutionnaires qui ont détourné d’eux touristes comme investisseurs. La reprise mondiale reste de fait sous la menace des risques géopolitiques. Au premier rang figure la tragédie syrienne, qui pèse déjà sur les prix des hydrocarbures et pourrait dégénérer en choc pétrolier si elle débouchait sur le blocus du détroit d’Ormuz. Le chaos en Irak ou au Pakistan comme l’onde de choc des révolutions du monde arabo-musulman renforcent l’instabilité de régions vitales pour les sources d’énergie et les matières premières. Dans le même temps, la crise syrienne apporte la démonstration de la disparition du leadership stratégique des États-Unis mais aussi de l’absence de toute puissance ou légitimité alternatives pour stabiliser la configuration multipolaire du XXIe siècle.
Sept leçons se dégagent de cette nouvelle donne :
- Les États-Unis ne sont plus le gendarme du monde mais demeurent le métronome de l’économie ouverte à travers le rôle central de la Fed et du dollar.
- La crise des émergents démontre que les Brics relèvent du mythe tant leurs structures politiques et économiques sont hétérogènes.
- Ce sont leurs faiblesses structurelles et non la Fed qui sont les vrais responsables du choc que subit l’Inde, du fait de sa bureaucratie inefficace et corrompue ; le Brésil, du fait de l’étatisme et du protectionnisme ; la Russie du fait de sa nature d’émirat pétrolier.
- Au-delà des actuelles secousses monétaires, les émergents restent la première source de croissance mondiale à travers la montée des nouvelles classes moyennes, la diffusion du développement à une nouvelle vague de pays – tels l’Indonésie et le Vietnam, Le Nigeria et l’Éthiopie, le Mexique et la Colombie -, la dynamique de l’intégration régionale à l’image de l’Alliance du Pacifique, qui regroupe Mexique, Pérou, Chili et Colombie.
- Des États-Unis en 2007 aux pays émergents en 2013, la création excessive de liquidités, de crédits et de dettes est la première source de déséquilibres du capitalisme.
- La compétitivité et les excédents de balance courante sont à l’inverse les meilleurs antidotes aux fluctuations de l’activité et à la volatilité des capitaux.
- Tout comme les crises, les reprises fonctionnent comme des tamis qui bénéficient aux nations les plus fortes et les plus capables de se réformer, aujourd’hui les États-Unis et l’Allemagne dans le monde développé, la Corée du Sud ou le Mexique au sein des émergents. Voilà pourquoi, tandis que la France s’enivre de reprise, ce sont les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni qui la font.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 septembre 2013)