Le commerce international, qui croissait deux fois plus rapidement que l’économie mondiale dans les années 1990 et 2000, progresse désormais moins vite : 3,1 %, contre 3,5 % cette année.
Loin d’être conjoncturelle, cette évolution renvoie aux transformations du capitalisme mondialisé : diminution du poids de l’industrie et avènement du numérique ; rééquilibrage entre production et consommation au sein des grandes puissances, notamment aux États-Unis et en Chine ; réorganisation des échanges autour de pôles régionaux ; montée des pressions protectionnistes sous la pression des populistes ainsi que des tentations de guerre des monnaies – de la réévaluation du dollar à la volatilité des devises émergentes en passant par la baisse de 22 % de l’euro en un an ou par le déplafonnement du franc suisse.
La croissance est décisive pour stabiliser la reprise et éviter que les politiques monétaires expansionnistes ne favorisent le gonflement de bulles spéculatives, encouragées par les taux d’intérêt négatifs. Compte tenu de l’endettement des États et de la surexposition des banques centrales, elle ne peut être dynamisée que par l’investissement, l’innovation et les réformes structurelles. Or le commerce international est un moteur décisif pour la croissance comme pour l’ouverture des marchés et le renforcement de la concurrence.
Alors que les discussions multilatérales du cycle de Doha sont enlisées depuis 2001, les deux négociations commerciales les plus importantes depuis la création du grand marché nord-américain en 1994 et de l’OMC en 1995 entrent dans une phase décisive : le Partenariat transpacifique (TPP), promu par les États-Unis pour endiguer la Chine dans l’Asie de l’Est, et le grand marché transatlantique (TTIP).
Après l’accord avec l’Iran et Cuba, la conclusion du TPP constitue le prochain objectif majeur de Barack Obama pour redessiner la diplomatie américaine. Il vient d’obtenir pour ce faire l’autorisation du Congrès d’utiliser la procédure accélérée dite du « fast track », en échange d’un délai de 180 jours ouvert à l’opinion, aux médias et aux parlementaires pour examiner le projet d’accord.
Le TPP, conclu avec onze États asiatiques mais sans la Chine, couvre potentiellement 25 % du commerce mondial. Il a pour objectif de faire pièce à l’expansion commerciale et financière de Pékin en Asie, dont le dernier avatar est le projet de Nouvelle Route de la soie – concrétisé par 46 milliards de dollars d’investissement dans les infrastructures au Pakistan. Barack Obama ne s’en cache nullement, qui l’a présenté en ces termes : « À l’heure où 95 % de nos consommateurs vivent hors de nos frontières, il faut que ce soit nous, et non les Chinois, qui écrivions les règles de l’économie mondiale. »
L’importance stratégique du TPP est déterminante, au moment où le centre de gravité du capitalisme bascule vers l’Asie. Mais il reste un traité commercial classique, dans la lignée des accords de libre-échange du XXe siècle, axé autour de la baisse des droits de douane et de l’ouverture de marchés sensibles, à l’image de l’automobile ou du textile aux États-Unis ou bien du riz au Japon.
L’ambition du TTIP est tout autre. D’abord, il régirait les 820 millions de consommateurs les plus riches de la planète, qui représentent 45 % du PIB et 40 % des échanges mondiaux. Surtout, le TTIP constitue le laboratoire des négociations commerciales du XXIe siècle. Elles sont moins guidées par les différends autour de l’agriculture ou de l’industrie que par les conflits autour de la finance, du numérique, des droits de propriété intellectuelle ou de l’accès aux marchés publics. Elles portent moins sur les droits de douane que sur les normes et la régulation, notamment dans les domaines de la concurrence, de l’environnement, de la santé publique ou de la sécurité sanitaire. Elles réservent une place centrale à la question du règlement des différends, que la surveillance électronique mondiale mise en place par la NSA ou le principe d’extraterritorialité du droit américain – souligné par les suites de la faillite de l’Argentine comme par les sanctions en chaîne infligées aux grandes banques internationales – posent en termes neufs.
Le TTIP constitue le prototype d’une nouvelle génération de traités commerciaux à qui il servira de référence s’il voit le jour. Pour cette raison, sa mise au point sera nécessairement beaucoup plus longue que celle du TPP. Pour cette raison également, il suppose une modification des méthodes de négociation et de leur environnement, avec une transparence accrue ainsi qu’une concertation en amont avec les autorités de régulation, les consommateurs et les Parlements, sauf à déchaîner les corporatismes et les populismes de tout bord.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 avril 2015)