La hausse et la transformation des risques vont de pair avec l’affaiblissement des institutions en charge de leur gestion.
L’histoire n’est pas finie, elle accélère. Elle n’est pas linéaire mais faite de lignes brisées et de ruptures. Le début du XXIe siècle en est exemplaire qui voit la multiplication des chocs et des surprises stratégiques : avènement de l’État islamique ; regain impérial de la Nouvelle Russie qui a liquidé le système européen de sécurité de l’après-guerre froide ; faillite de facto de la Grèce ; vague de migrants en Europe sans précédent depuis 1945 ; montée en puissance du cybermonde ; ubérisation de l’économie ; percée de l’intelligence artificielle.
Ces événements ont en commun d’être improbables, extrêmes et irréversibles. Ils renvoient à cinq révolutions majeures : le vieillissement démographique, l’universalisation du capitalisme, le basculement vers les technologies de l’information et l’économie des données, la transition écologique, le retour en force des tensions géopolitiques, portées par le renouveau des passions nationales et religieuses avec pour conséquence le réveil des empires – Chine, Russie, Iran et Turquie – et la mondialisation du djihad.
Les risques n’ont nullement disparu ; ils se transforment. Leur nature devient systémique, du terrorisme aux attaques cybernétiques en passant par le réchauffement climatique ou les pandémies (avec pour derniers avatars Ebola et Tianjin), des dommages créés par les désastres naturels (15 % du PIB de la Thaïlande pour les inondations) ou des victimes du terrorisme dont le nombre est passé de 2000 à plus de 20.000 par an en une décennie.
Leur champ géographique n’est plus concentré autour des États-Unis, de l’Europe et du Japon mais planétaire. Les acteurs se diversifient, les États étant de plus en plus contestés par les grandes métropoles, par certaines entreprises – avec pour symbole le refus d’Apple de collaborer avec le FBI pour accéder aux données personnelles des smartphones -, par des groupes criminels ou terroristes à l’image des cartels mexicains ou de l’État islamique.
La hausse et la transformation des risques vont de pair avec l’affaiblissement des institutions en charge de leur gestion. Les États-Unis restent la seule puissance globale mais n’ont plus ni la volonté ni les moyens de réassurer le capitalisme ou la sécurité du monde. Le système des Nations unies, fondé en 1945, tarde à prendre en compte les puissances émergentes. Les États peinent à garantir la paix civile et la défense de la souveraineté. Ils menacent moins la liberté par leur caractère totalitaire que par leur fragilité, qu’elle provienne de leur surendettement ou de leur effondrement. Enfin, l’Occident a perdu le monopole du capitalisme et du pilotage de l’histoire dont il disposait depuis le XVIe siècle, affrontant aujourd’hui le désir de revanche des nations et des peuples qu’il colonisa.
Pour les démocraties s’ouvre une période de grande vulnérabilité. Comme dans les années 1930, elles sont sous le feu croisé d’un violent choc déflationniste, qui ruine les classes moyennes et atomise leurs citoyens, ainsi que de menaces intérieures et extérieures. En mal de leadership, elles voient leurs institutions délégitimées et le populisme prospérer, quand les nouveaux autocrates semblent avoir le vent en poupe. Enfin, elles se divisent, les États-Unis se désengageant du monde tandis que l’Europe, de Grexit en Brexit, se désintègre.
Pour autant, les nouvelles sources de croissance existent, fondées sur le décollage de l’Afrique, les nouvelles classes moyennes du Sud, la révolution numérique ou la transition énergétique. Et les nations libres conservent de formidables atouts pour résister aux empires comme au fanatisme islamique. À la condition de se remettre profondément en question.
La croissance ne peut pas davantage être générée par les seuls États que la paix civile et internationale ne peut découler de réponses uniquement sécuritaires. Aussi faut-il agir à trois niveaux. D’abord la mobilisation des acteurs économiques et sociaux, qui jouent un rôle clé dans l’invention d’un nouveau capitalisme entrepreneurial et partenarial comme dans la stabilisation de la société ouverte. Ensuite la reconfiguration des pouvoirs publics qui doivent se repenser comme des facteurs de stabilité. Ceci suppose de recentrer leurs missions et leurs moyens autour de la réassurance des risques tout en les désendettant. Enfin, les puissances émergentes doivent être pleinement intégrées à la gouvernance mondiale. Pour tous s’impose un choix clair : agir ou subir ; se réformer ou accepter d’être marginalisé au risque de renoncer à la maîtrise de son destin et à la liberté.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 février 2016)