La croissance durable et le plein-emploi sont à portée de la main. Mais ils exigent des politiques actives, en rupture avec la délégation du pilotage économique aux seules banques centrales.
L’économie mondiale semble prisonnière d’une trappe de croissance molle. Elle ne progressera que de 3 % en 2016 comme en 2015, contre une moyenne de 3,6 % depuis 1980. Pour les pays développés, la croissance s’établit à 2 % et reste très inégale. La résistance des États-Unis (2,4 %), en dépit de la baisse des profits et des créations d’emplois, contraste avec la longue stagnation du Japon (0,4 %) tandis que la lente reprise de la zone euro se poursuit (1,7 %). Le freinage des émergents (4,5 %) s’accompagne de très fortes turbulences. L’atterrissage en douceur des Trente Glorieuses de la Chine (6,5%) fait de l’Inde le champion de la croissance mondiale, avec une hausse de l’activité de 7,6 %. Dans le même temps, le Brésil (-4,7 %) et la Russie (-2 %) s’enfoncent dans la récession et les producteurs de pétrole et de matières premières sont frappés par une violente crise économique et financière, dont la faillite du Venezuela est emblématique.
La croissance molle s’explique tout d’abord par les séquelles du krach de 2008. Les capacités de production massives qui ont été détruites via les faillites d’entreprises et le chômage de longue durée n’ont pas été remplacées. L’activité plafonne par ailleurs en raison du surendettement. Le stock des dettes a augmenté de plus de 200 000 milliards de dollars depuis 2008, notamment chez les émergents, où les dettes privées ont explosé jusqu’à représenter 200 % du PIB en Chine et 97 % du PIB au Brésil. Enfin, la mobilisation sans précédent des politiques monétaires – de l’assouplissement quantitatif aux taux négatifs – atteint ses limites. Les banques centrales ont efficacement endigué le risque de déflation et amorcé la reprise ; elles ne peuvent devenir le moteur d’un développement durable.
À ces facteurs conjoncturels s’ajoutent des mutations structurelles encore plus préoccupantes. La population en âge de travailler ne progresse plus que très faiblement et diminuera à partir de 2020, à la seule exception de l’Afrique. Simultanément, la productivité connaît un spectaculaire coup d’arrêt. Ses gains sont limités à 0,7 % dans le monde développé, soit le rythme le plus faible depuis la fin des années 1970. Pis, ils stagnent à 0,3 % aux États-Unis, pourtant leader incontesté de la révolution numérique, contre 2,5 % au cours des années 1990. Troisième source d’inquiétude, la financiarisation a installé une économie de bulles qui se retourne contre l’investissement productif. Enfin, les risques géopolitiques reviennent en force et pèsent lourdement sur l’activité, tant par la guerre qui dévaste des régions entières, à l’exemple du chaos du Moyen-Orient, que par l’instabilité qu’ils génèrent, des tensions en mer de Chine à la crise ukrainienne en passant par la désintégration de l’Europe sous la pression des migrants.
Pour autant, l’économie mondiale n’est nullement condamnée à la croissance molle. Force est tout d’abord de constater la résilience de l’activité face aux récents chocs : les krachs chinois ont été maîtrisés ; le cours du baril de pétrole ne s’est pas effondré et s’est redressé autour de 50 dollars ; l’amorce de la remontée des taux de la FED n’a pas fait basculer les États-Unis dans la récession. La faiblesse des gains de productivité est par ailleurs logique lors d’une sortie de crise, où la priorité va légitimement au retour des chômeurs vers l’emploi : plus de 15 millions de postes de travail ont ainsi été créés aux États-Unis depuis 2009. Enfin, il existe de multiples sources pour une croissance stable : le décollage de l’Afrique ; l’essor des nouvelles classes moyennes du Sud ; l’économie des données, la robotique et l’intelligence artificielle ; la transition écologique ; les seniors.
Le XXIe siècle n’a aucune raison d’être placé sous le signe d’une grande stagnation. La croissance durable et le plein-emploi sont à portée de la main. Mais ils exigent des politiques actives, en rupture avec la délégation du pilotage économique aux seules banques centrales. La stabilisation des classes moyennes passe par l’accélération du retour au plein-emploi et la lutte contre les inégalités. Une forte initiative doit être engagée pour l’intégration de la jeunesse, dont 15 % se trouve privée de scolarité, de formation ou d’emploi dans les pays développés. La relance de l’investissement productif et de l’innovation implique la mobilisation de l’épargne par une fiscalité raisonnable et la remise en marche du secteur des banques et des assurances, bloqué par une avalanche de normes et de taxes. L’économie mondiale ne dispose plus de marges de manœuvre pour amortir un nouveau choc. Les banques centrales ayant fait leur devoir, il reste aux gouvernements à prendre leurs responsabilités.
(Chronique parue dans Le Figaro du 13 juin 2016)