La dynamique de la guerre civile doit être endiguée par la remise en ordre de marche de l’État régalien et le retour au respect de l’État de droit, écrit notre chroniqueur.
L’attentat de Nice constitue une nouvelle démonstration de vulnérabilité de France face à l’État islamique. Le moment et le lieu de l’attaque sont une nouvelle fois stratégiques. Au lendemain de l’Euro 2016, la France est frappée le 14 Juillet, fête nationale et symbole de la République. François Hollande est ridiculisé qui tentait de s’ériger quelques heures avant en protecteur des Français. Après les journalistes, la police et les Juifs en janvier 2015, la jeunesse en novembre dernier, ce sont les familles et les enfants qui ont été ciblés afin de maximiser l’horreur. Enfin, Nice se voulait un laboratoire des politiques de sécurité et sert d’emblème au tourisme français, qui représente 7 % du PIB, et avait déjà été très durement touché par les attentats de Paris. La France est ainsi meurtrie dans ses valeurs, dans ses institutions, dans son économie.
Cette nouvelle tragédie témoigne du changement de nature du terrorisme islamique et de la menace sans précédent qu’il fait peser sur les démocraties. Placé sur la défensive en Irak et en Syrie où il a perdu la moitié des territoires qu’il contrôlait, l’État islamique se redéploie en Afrique du Nord et en Europe. Dans le même temps, sa stratégie évolue vers une terreur de proximité. L’objectif est clair : soumettre les démocraties à une horreur sans limite afin de provoquer une révolte contre les minorités musulmanes et instaurer la guerre civile.
Nice, après Orlando et Magnanville, répond ainsi à l’appel lancé en 2014 pour tuer des infidèles par tous moyens et dans toutes les circonstances. La France est le théâtre privilégié de la diversification des modes opératoires de l’État islamique : attaques coordonnées de nationaux radicalisés, commando militarisé projeté depuis l’étranger, action d’individus radicalisés qui, à l’instar du 11 septembre 2001 qui avait transformé des avions en missiles, détournent des matériels civils pour les utiliser comme des armes de guerre.
Notre pays est de fait la cible idéale pour cette stratégie. D’abord en raison de ses valeurs, de son histoire, de ses engagements. Ensuite en raison de la présence de la plus importante communauté musulmane d’Europe. Enfin en raison de son statut d’homme malade de l’Occident qui résulte de la stagnation économique, de la décohésion sociale, de l’impuissance d’un État obèse qui a sacrifié ses fonctions régaliennes à la protection sociale, de la délégitimation des institutions, de la montée du populisme d’extrême droite.
Force est de constater que la France est en passe de perdre la guerre contre l’État islamique. Son emprise ne cesse de se renforcer sur une partie de la jeunesse. La colère monte contre la communauté musulmane et ses ambiguïtés persistantes face à la terreur. La faible reprise économique s’enraye avec la généralisation de l’insécurité. La résilience de la nation s’érode au fil des attentats et de l’impuissance manifeste des pouvoirs publics.
De fait, notre stratégie est totalement incohérente et François Hollande en porte la responsabilité première. Elle repose sur le déni de l’ennemi, comme le montre la qualification persistante de Daech qui occulte la dimension de l’islam. Elle subit au lieu d’agir, faute d’avoir pris en compte les changements du monde et du terrorisme. Elle est forte dans les mots et nulle dans les actes. Elle donne la priorité à des débats juridiques vains autour d’un état d’urgence qui a fait la preuve de son inefficacité au lieu de se déployer en termes opérationnels. Elle est aussi déterminée à l’extérieur qu’inconsistante à l’intérieur. Elle ne parvient pas à coordonner le militaire et le policier, le diplomatique et l’humanitaire, le judiciaire et l’éducatif, l’économique et le social, le national et l’européen.
Si nous ne voulons pas être vaincus, nous devons d’urgence réviser notre stratégie face à l’État islamique pour lui donner une dimension à la fois plus globale et plus opérationnelle. Quelques principes clés s’imposent. Le monde a radicalement changé et la France et l’Europe sont confrontées avec le terrorisme islamique à une menace existentielle sans précédent. La sécurité constitue désormais avec le redressement économique la première priorité nationale en même temps que le socle de la refondation de l’Union après le Brexit. La dynamique de la guerre civile doit être endiguée par la remise en ordre de marche de l’État régalien et le retour au respect de l’État de droit. La réponse ne peut être uniquement militaire et sécuritaire, mais nécessite la mobilisation de l’ensemble de la société.
La France doit désormais se doter d’une stratégie de sécurité nationale, afin de mettre en cohérence et de coordonner les politiques publiques et les acteurs privés contribuant à la sécurité. Ceci passe par la création d’un conseil de sécurité nationale auprès du président de la République et d’un centre de commandement opérationnel pour la sécurité intérieure, pilotant tous les aspects de la lutte contre le terrorisme sur le territoire national. Un effort de réinvestissement massif est requis dans l’État régalien, qui a été réduit à 2,6 % du PIB contre 34 % du PIB pour les transferts sociaux. Il doit inclure la remontée du budget de la défense de 1,5 % à 2 % du PIB d’ici à 2025, financée par la sortie des 35 heures et la réorientation progressive des quelque 12 à 15 milliards d’euros destinés à compenser leurs surcoûts pour les entreprises. L’action des services de l’État a vocation à être recentrée autour de la protection de la population et démultipliée par le relèvement du temps de travail, notamment dans la police où il s’élève en moyenne à 28 heures par semaine.
Au plan européen, une union pour la sécurité devrait être lancée, avec pour objectifs la lutte contre le terrorisme, la protection des frontières extérieures – particulièrement en Méditerranée – et la surveillance des infrastructures essentielles. Simultanément, notre pays renforcerait sa coopération avec le Royaume-Uni dans le droit-fil des accords de Lancaster House signés en 2010.
Trois quarts de siècle après la débâcle de 1940, la France n’a d’autre choix que de se réformer radicalement et d’opérer une révolution stratégique si elle veut éviter une nouvelle étrange défaite face à l’État islamique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 18 juillet 2016)