Dans la bataille entre la démocratie et le populisme, l’Europe doit améliorer la représentativité de la classe politique et la qualité du débat public.
Vingt-cinq ans après la dislocation de l’Union soviétique, les illusions entretenues autour d’une fin de l’histoire et d’un triomphe de la démocratie se sont dissipées. Elles cèdent la place à une grande angoisse des nations libres qui, après s’être crues éternelles, se découvrent mortelles, concurrencées par le décollage des émergents, ciblées par le djihad, exposées à la pression des « démocratures », déstabilisées par une montée du populisme sans précédent depuis les années 1930 dont témoignent le Brexit et l’élection de Donald Trump.
Le populisme désigne des mouvements contestataires, conduits par des chefs charismatiques, qui se saisissent du désarroi créé par les grands bouleversements historiques pour dresser le peuple contre les élites et exacerber les passions identitaires. Leur séduction repose, face à des situations complexes, sur l’exaltation d’idées aussi simples que fausses : le protectionnisme, le nationalisme et la xénophobie. Le moment populiste voit ainsi le laos, plèbe inorganisée, prendre sa revanche sur le demos, peuple constitué politiquement par des citoyens libres.
Les raisons de l’onde de choc populiste sont connues. Elles mêlent la stagnation des revenus d’une large partie de la population, la montée de la pauvreté et des inégalités à la suite du krach de 2008, la peur devant la révolution numérique qui redessine les entreprises et les emplois, les nouvelles possibilités de manipulation des masses offertes par les réseaux sociaux, la remontée de l’insécurité intérieure et extérieure. À l’atomisation des individus répond la crise de la représentation politique.
Ainsi émerge sous nos yeux une nouvelle donne à très haut risque. Sur le plan économique s’ouvre un cycle de démondialisation, placé sous le signe du protectionnisme, du renouveau des interventions de l’État et de la remontée des taux d’intérêt. Sur le plan stratégique, le djihadisme, sur la défensive en Irak et en Syrie, est à l’aube d’une nouvelle mutation en réseau social niché au cœur des sociétés développées. Sur le plan géopolitique, les démocratures –Chine, Russie et Turquie en tête– voient s’ouvrir une occasion d’accélérer leur expansion face à l’Occident qui doute de ses valeurs et se divise, remettant en cause les alliances qui fondaient sa sécurité et que Donald Trump qualifie d’« obsolètes et coûteuses ». La Chine se félicite de la remise en cause du pacte transpacifique et enregistre les ralliements des Philippines et la Malaisie. L’Europe est menacée de désintégration par le Brexit au moment où elle s’affirme comme un théâtre d’opérations privilégié pour les combattants de Daech, où la Turquie se transforme en dictature islamique et où la Bulgarie et la Moldavie se dotent de régimes pro-russes.
L’indignation étant non seulement inutile mais contre-productive, il est temps de s’attaquer aux trois mamelles que constitue le populisme : l’exclusion, l’insécurité et la perte d’identité. Face à la stagnation économique et au déclassement de pans entiers de la population, il faut relancer une croissance inclusive qui repose, d’un côté, sur des investissements dans les infrastructures afin de favoriser des gains de productivité et, de l’autre, sur un effort massif en matière de logement et de santé. L’éducation, surtout, mérite un effort particulier car elle reste la meilleure arme pour améliorer l’employabilité et former des citoyens responsables. Il faut donc imaginer, comme à la fin du XIXe siècle ou après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau contrat social entre l’État, les entreprises et les individus. La sécurité doit également faire l’objet de ce nouveau contrat social. Enfin, la clé de voûte demeure la solidité de l’État de droit qui doit être adossé à l’amélioration de la représentativité de la classe politique et de la qualité du débat public.
L’Europe doit prendre en main son destin. Les priorités sont connues : stabiliser les frontières de l’Union et organiser des partenariats stratégiques avec le Royaume-Uni, la Russie et la Turquie ; achever et protéger le grand marché ; lancer un ambitieux programme d’investissement dans les infrastructures, notamment numériques, et l’éducation ; renforcer la zone euro en coordonnant les politiques économiques, en restructurant les banques et en privilégiant une convergence fiscale et sociale ; créer une Union pour la sécurité avec pour mission de lutter contre le terrorisme, de protéger les équipements vitaux et de reprendre le contrôle des frontières extérieures.
Dans la bataille qui s’ouvre entre la démocratie et le populisme, le référendum italien, l’élection présidentielle française et les législatives allemandes sont cruciaux. La France dispose cependant d’une responsabilité toute particulière. L’élection présidentielle de 2017 n’est pas seulement la dernière chance de redresser la France de manière pacifique ; elle constitue aussi une occasion décisive d’endiguer la vague populiste en choisissant la voie de la réforme et de la raison contre les passions violentes et la régression.
Cette chronique est publiée simultanément
par sept quotidiens européens