Barack Obama a transmis à la chancelière le flambeau de champion du monde libre. Elle va pourtant mener la plus difficile des campagnes de sa carrière.
L’année 2016 est, au même titre que 1989, une année de basculement du monde. Le Brexit menace le Royaume-Uni et l’Europe de désintégration. L’élection de Donald Trump accélère la désoccidentalisation du monde et l’accession de la Chine au statut de puissance globale. Un nouveau cycle économique s’ouvre, placé sous le signe de la démondialisation et de la remontée de l’inflation et des taux d’intérêt. La Syrie inaugure l’ère des guerres sans fin. Enfin, le populisme prospère, avec sa victoire dans la plus ancienne et dans la plus puissante des démocraties. L’année 2017 ne sera pas moins décisive pour les nations libres avec des élections aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et très probablement en Italie.
Dans cette tourmente de l’histoire, l’Allemagne fait figure de môle de stabilité. Au sein du G20, la chancelière Angela Merkel est, après Vladimir Poutine, le chef d’État et de gouvernement qui exerce ses fonctions depuis plus longtemps. Barack Obama, lors de son ultime tournée européenne, lui a transmis le flambeau de champion du monde libre au moment où les États-Unis prennent un tournant protectionniste et isolationniste. Enfin, elle n’a pas de véritable rival dans la classe politique allemande.
Alors qu’elle postule à un quatrième mandat, Angela Merkel affronte, pourtant, la campagne et la situation politiques les plus difficiles de son impressionnante carrière. Car tout a changé.
Angela Merkel a changé. Son lien avec le peuple allemand s’est distendu à l’occasion de la crise des réfugiés, où elle a engagé seule le destin de l’Allemagne et de l’Europe sans tenir compte des multiples appels à la prudence qui lui ont été lancés. Aujourd’hui, elle a certes été réélue à la tête de la CDU, mais elle ne dispose ni d’un projet mobilisateur ni d’un élan dans l’opinion. Elle représente plus un choix par défaut qu’un choix d’adhésion.
L’Allemagne a changé. Deutschland AG tourne à plein régime. La croissance atteint 1,8 % ; le plein-emploi règne avec un taux de chômage réduit à 4,2 % de la population active ; l’excédent commercial culmine à 8,6 % du PIB ; les comptes publics sont excédentaires de 0,6 % du PIB et la dette souveraine a été ramenée à 71 % du PIB. Mais le « dieselgate » de Volkswagen puis la crise traversée par Deutsche Bank ont souligné les failles de la gouvernance à l’allemande.
Surtout, la nation s’est divisée et polarisée, la crise des réfugiés cristallisant la peur des classes moyennes du monde développé face à la mondialisation, à la révolution numérique, à l’immigration et au terrorisme islamique. Le parti populiste AfD recueille désormais entre 12 et 15 % des suffrages.
L’Europe a changé. L’Europe est confrontée au retour en force des risques sur sa sécurité intérieure et extérieure. Elle est la cible des démocratures russe et turque, galvanisées par le repli américain. Elle est un théâtre d’opérations central pour l’État islamique du fait de son recul au Moyen-Orient et en Libye. Elle se désagrège sous la pression des populistes, de Brexit en Renxit. Et la zone euro pourrait de nouveau connaître de fortes tensions avec la remontée des taux d’intérêt et l’incapacité chronique à recapitaliser et restructurer ses banques. Pour survivre, l’Europe ne doit plus produire de l’austérité, des chômeurs et des normes mais des richesses, des emplois et de la sécurité.
Le monde a changé. L’ordre mondial dominé par les États-Unis, héraut de l’Occident, s’effondre. Or l’Union européenne et l’Allemagne, réunifiées autour de la démocratie et de l’économie de marché, en sont les enfants. Le retrait des États-Unis laisse le champ libre aux hommes forts des démocratures et aux djihadistes, qui ne manqueront pas de tester la volonté de résistance des Européens.
Face à ces défis, Angela Merkel se présente comme la candidate de la stabilité. Elle seule peut constituer et piloter une coalition alors que jusqu’à sept partis pourraient siéger au Bundestag. Mais elle doit se remettre profondément en question, sauf à mettre en péril l’Allemagne démocratique et la construction européenne, qui ont guidé son engagement politique. Elle doit aussi relancer le couple franco-allemand avec le prochain président de la République pour refonder l’Union.
Paul Claudel remarquait qu’« en Allemagne les médiocrités s’additionnent quand en France les supériorités se neutralisent ». Faisons de 2017 l’année où la France et l’Allemagne conjureront la médiocrité du populisme pour se remettre à additionner leurs supériorités au service de l’Europe.
(Chronique parue dans Le Point du 12 décembre 2016)