Le fossé se creuse entre le diagnostic sans concession fait sur la situation de la France et le report dans le temps des réformes.
Emmanuel Macron a montré une virtuosité dans la conquête du pouvoir puis l’investissement de la fonction de chef de l’État. Après les premières semaines, dominées par la restauration symbolique de la présidence, il est confronté à l’exercice du pouvoir et à l’enjeu central de son quinquennat : la transformation du modèle économique et social, qui constitue la clé du redressement national. Sa réussite ou son échec se joueront d’ici à la fin 2017.
Le dilemme qui se présente à lui est identique à celui de ces prédécesseurs. Soit tabler sur l’amélioration de la conjoncture pour résoudre les maux français, pari qui s’est révélé systématiquement perdant au cours des dernières décennies. Soit donner la priorité aux réformes : reconstruction d’une offre compétitive, normalisation de l’environnement réglementaire et fiscal, réforme de l’éducation et de la santé, évaluation et baisse des dépenses publiques, coupes dans les aides sociales pour réinvestir dans l’État régalien.
Aujourd’hui, l’environnement de l’économie française connaît une réelle embellie. Les demi-réformes de François Hollande ont fini par produire une reprise lente, portant la croissance au-delà de 1 % et le chômage au-dessous de 10 % de la population active, sans pour autant juguler ni le déséquilibre du commerce extérieur – 56 milliards d’euros sur un an – ni la dérive des comptes publics, avec un déficit et une dette qui atteignent 3,2 % et 98,9 % du PIB. L’activité accélère dans la zone euro pour tendre vers une croissance de 2 %, favorisant la baisse du chômage à 9,3 % de la population active et celle du déficit public à 1,4 % du PIB. L’élection de Macron a rétabli l’image de la France.
Mais avec ces signaux positifs renaît la tentation de s’en remettre aux facteurs extérieurs plutôt qu’à la politique économique pour résoudre les problèmes structurels de la France. La réunion du Congrès a vu Narcisse pointer sous Jupiter pour se perdre dans une vision éthérée et déconnectée du réel au lieu de fixer un cap clair. Le discours de politique générale a été ravalé en un catalogue de mesures sans véritable cohérence. Entre l’apesanteur et le terre à terre, il n’a manqué que l’essentiel : une stratégie de réforme pour le pays.
Le fossé se creuse entre le diagnostic sans concession fait sur la situation de la France et le manque d’ambition et le report dans le temps des réformes. L’heure semble à la correction plus qu’à la transformation. Le risque se fait jour que la continuité prime la rupture. Que tout change pour que rien ne change.
La réforme du marché du travail va voir le jour mais son champ semble se réduire, avec le maintien d’un dialogue social principal au niveau de la branche et l’exclusion de toute mesure concernant les seuils sociaux.
Le point le plus préoccupant concerne l’arbitrage effectué au détriment des réformes destinées à stimuler l’offre et normaliser la fiscalité afin de respecter le seuil de déficit public de 3 % du PIB en 2017. Il est légitime de tout faire pour éviter de franchir la barre des 100 % du PIB de dette publique. Mais cela passe par la baisse des dépenses et non une nouvelle envolée des recettes.
Or l’objectif de diminuer de 3 % du PIB les dépenses publiques ne s’appuie sur aucune mesure concrète. L’indispensable réinvestissement dans la défense pour atteindre 2 % du PIB en 2025 ou la loi de programmation pour la justice ne sont pas plus financés que le fonds de 50 milliards pour l’investissement ou le fonds de 10 milliards pour l’innovation. De nouvelles dépenses sociales sont annoncées en faveur des petites retraites ou des soins de santé, alors que le déficit de la Sécurité sociale atteint 5,5 milliards.
Une floraison de taxes supplémentaires se dessine dès 2018 : 2 points de CSG, alignement du diesel sur l’essence, taxe sur les poids lourds, hausse de 40 % d’ici à 2030 de la taxe carbone. Le plan pour le climat est dominé par une vision malthusienne qui privilégie réglementations, taxes et aides sociales. Or toute taxe finit par être payée par le consommateur.
À l’inverse, les mesures concernant la modernisation de l’offre productive et les baisses d’impôts sont renvoyées à 2019 ou 2020, ce qui les rend très aléatoires, qu’il s’agisse de la transformation du CICE en baisse de charges, de la diminution de l’impôt sur les sociétés, de l’ISF ou du prélèvement unique de 30 % sur les revenus du capital. Et rien de concret n’a été annoncé pour neutraliser le coin réglementaire, fiscal et social des entreprises qui voudraient quitter Londres pour la France.
Le quinquennat de Hollande a montré que le temps perdu ne se rattrapait pas.
(Chronique parue dans Le Figaro du 10 juillet 2017)