Le salut des démocraties passe par leur capacité à se remettre en cause. La priorité va à l’éducation des citoyens et à une croissance durable.
L’année 2017 a été marquée par un grand écart entre le redressement de l’économie mondiale et la montée des risques politiques et stratégiques pour les démocraties. Dix ans après le pire krach du capitalisme depuis 1929, la croissance a progressé de 3,6 % et les échanges mondiaux de 4,6 %. Le taux de chômage mondial a été ramené à 5,6 % de la population active. Portés par cette reprise synchronisée et sans inflation, dopés par une politique monétaire restée accommodante, les marchés financiers ont connu une année exceptionnelle, notamment pour les actions : avec plus de 1 700 milliards de dollars de capitaux mobilisés, les introductions en Bourse ont ainsi établi un nouveau record.
L’embellie économique et l’euphorie financière contrastent avec la tempête qui secoue les démocraties. À tous ceux qui espéraient que la fonction ferait l’homme, Donald Trump a répondu en défaisant la fonction de président des États-Unis. Les institutions de Washington sont désormais suspendues à un quarteron de généraux qui s’efforcent de limiter les dommages d’une présidence transformée en bateau ivre au gré des tweets et des procédures judiciaires. Si l’économie résiste, la nation américaine est profondément divisée et affaiblie par la réactivation des clivages raciaux. Sur le plan international, le leadership et le soft power américains ont été ruinés.
En même temps que les brumes de la démagogie se dissipent, le Royaume-Uni découvre le prix exorbitant du Brexit en termes de chute de la croissance, de la livre et des revenus laminés par l’inflation, de marginalisation du rôle de la City, de tensions avec l’Écosse et l’Irlande du Nord, de perte d’influence. L’Europe, que tous imaginaient comme la victime suivante des populistes, leur a donné un coup d’arrêt en France et aux Pays-Bas, mais non pas un coup fatal comme le montre leur percée en Allemagne ou en Catalogne ainsi que leurs succès en Autriche et en République tchèque.
Sur le plan stratégique, 2017 a surtout marqué la fin de la domination des États-Unis et le début du passage de témoin à la Chine de Xi Jinping, qui a profité des errements de Donald Trump pour asseoir sa domination sur l’Asie-Pacifique tout en se faisant le héraut de la mondialisation et de la lutte contre le réchauffement climatique. Depuis le XIXe Congrès du PCC, la Chine assume ouvertement son ambition de conquérir le leadership mondial à l’horizon de 2049. Son ascension est exemplaire de l’avènement des démocratures et de la menace qu’elles font peser sur les démocraties, en revendiquant une gestion plus efficace du capitalisme, une meilleure cohésion de la société et une capacité inégalée de l’État à conduire des stratégies de long terme.
Simultanément, la défaite militaire de l’État islamique au Levant n’a pas annihilé la menace djihadiste qui bascule vers l’Afrique et l’Asie tout en se redéployant sous la forme d’un réseau social dans les pays développés. Enfin, l’année 2017 a connu le renouveau de la menace nucléaire avec la crise nord-coréenne et la confirmation des périls issus du cybermonde avec plusieurs attaques majeures. Les risques planétaires ont également été illustrés par la multiplication des catastrophes naturelles dont le coût économique a explosé pour atteindre 306 milliards de dollars.
L’année 2018 sera donc décisive. Le relèvement des risques économiques et financiers ainsi que la persistance des risques politiques et stratégiques confronteront les démocraties à un choix cardinal : accélérer les réformes et refaire leur unité ou aggraver leurs faiblesses et leurs divisions en donnant de nouvelles armes à leurs ennemis. Un nouveau cycle économique s’ouvre, marqué par le plafonnement des gains de productivité, la résurgence de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt avec la sortie progressive des stratégies d’assouplissement quantitatif. La réforme fiscale américaine, fondée sur des baisses d’impôts de 140 à 150 milliards de dollars par an centrées sur les entreprises et les plus riches, achète de la croissance et des profits à crédit au prix d’un gonflement supplémentaire des bulles et des inégalités. Le risque de secousse financière s’accroît, avec des effets potentiellement dévastateurs du fait d’un stock de dettes qui culmine à plus de 200 000 milliards de dollars et de l’absence de réassurance en raison de l’épuisement des politiques budgétaires et monétaires.
Sur le plan politique, les causes du populisme – de la paupérisation des classes moyennes au désarroi identitaire en passant par les menaces sécuritaires – continueront à affaiblir les institutions et les nations démocratiques. En Europe, les élections italiennes s’annoncent ainsi à très haut risque. Dans le monde, le nationalisme, le protectionnisme et la xénophobie poursuivront leur travail de sape contre les régulations internationales, les organisations multilatérales et la coopération dans la gestion des périls globaux.
Dans ce moment de grand danger, le salut des démocraties passe par leur capacité à se remettre en cause.
À l’intérieur des nations, la priorité va à l’éducation des citoyens, au basculement vers une croissance inclusive et durable, à la consolidation du lien social et au renforcement de l’État de droit.
Sur le plan international, face au renouveau de la violence ainsi que des régimes et des idéologies hostiles à la démocratie, il est impératif de réaffirmer la communauté de valeur et de destin du monde libre tout en assumant la charge de la défense de la liberté. Au moment où les États-Unis et le Royaume-Uni vacillent, la France, qui doit engager son redressement, et l’Europe, qui doit confirmer son renouveau, a une responsabilité historique.
Georges Bernanos rappelait qu’« on n’attend pas l’avenir comme on attend un train, on le fait ».
Les démocraties, notamment en Europe, se sont habituées depuis trop longtemps à attendre l’avenir. Il est grand temps qu’elles recommencent à le faire.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 décembre 2017)