Alors que Hongkong connaît un exil de capitaux vers Singapour, la crise remet en question le modèle autoritaire chinois.
Trente ans après Tienanmen, Hongkong s’installe dans une nouvelle crise. Le retrait, le 9 juillet, du projet de loi permettant l’extradition de suspects vers le continent n’a pas désarmé les manifestations, qui se sont élargies en grève générale à laquelle même les fonctionnaires ont participé le 5 août. La population proteste contre les ingérences de Pékin, demande la démission de Carrie Lam, chef de l’exécutif du territoire, et exige le retour à une application stricte des accords de restitution du 19 décembre 1984, qui garantissent l’autonomie du territoire jusqu’en 2047. Le défi est sans précédent pour Xi Jinping.
Depuis la rétrocession de Hongkong à la Chine, en 1997, l’adage « un pays, deux systèmes » acté par Deng Xiaoping a été méthodiquement vidé de son sens par Pékin avec la loi de sécurité nationale en 2003, la réforme du Parlement en 2010 et la répression du mouvement des parapluies en 2014. Chaque fois, les enjeux du développement de Hongkong, sas entre la Chine et le reste du monde, ont pris le pas sur la défense du statut du territoire et des droits politiques reconnus à sa population.
Il en va autrement aujourd’hui, ce qui explique la surprise des autorités de Hongkong et de Pékin, et leur difficulté à définir une riposte. Le défilé dans les rues, le 16 juin, de plus de 2 millions de personnes sur les 7,4 millions que compte le territoire a montré que le sacrifice de la liberté sur l’autel de la croissance et de la stabilité était désormais rejeté. Face à un mouvement sans leader, mû par les réseaux sociaux, Xi Jinping, pourtant obsédé par la crainte d’une contagion des revendications au continent, n’a cessé d’hésiter. Suspension puis retrait du texte, répression violente avec l’agression de manifestants par les gangs des triades le 21 juillet, menace d’une intervention de l’Armée populaire de libération, dont 10 000 hommes sont stationnés à Hongkong.
La prudence observée malgré tout par Pékin s’explique par la crainte d’un effondrement de l’attractivité de Hongkong, par la montée des critiques au sein du Parti communiste contre le pouvoir absolu de Xi Jinping et sa stratégie d’affirmation agressive des ambitions chinoises, et enfin par la perspective du 70e anniversaire de la République populaire, le 1er octobre, qui pourrait être télescopé par les images des manifestations et des violences.
Trois options se présentent à l’empereur rouge de Pékin. Le déploiement de l’armée dans les rues de Hongkong, au prix d’une forte secousse économique et de la fin de sa fonction de courtier dans les relations extérieures du continent, au prix également d’un coup majeur porté à l’image de la Chine et du modèle que Xi Jinping entend exporter à travers les nouvelles routes de la Soie. La deuxième option, peu probable, passe par une médiation confiée aux élus de l’opposition libérale du territoire pour négocier un accord de sortie de crise avec les manifestants. La troisième, assez vraisemblable, réside dans une stratégie de pourrissement pour discréditer le mouvement et l’idée même de démocratie. Une stratégie qui passe, à court terme, par l’arrêt de la manne apportée par les 45 millions de touristes du continent et, à moyen terme, par l’accélération du développement de Shenzhen dans le cadre de l’ambitieux Greater Bay Project.
La crise engage à l’évidence l’avenir de Hongkong, qui connaît un exil massif de capitaux vers Singapour et se voit brutalement rappelé aux limites d’une autonomie qui prendra fin en 2047. Elle remet plus encore en question la Chine, son modèle autoritaire et son ambition d’accéder au leadership mondial en 2049. Les manifestants rappellent que le peuple chinois n’a pas renoncé à la liberté et que le modèle autoritaire de Pékin est condamné par la jeunesse urbaine, éduquée et connectée. L’échec de l’intégration de Hongkong retentit aussi sur Taïwan. Au moment où Xi Jinping veut forcer le rattachement de l’île, il souligne que la reconnaissance provisoire d’un système de pouvoir alternatif échappant au monopole du Parti communiste reste purement formelle. Les Taïwanais ont entendu le message. La présidente Tsai Ing-wen, élue en 2016 sur un programme favorable à la souveraineté, gagne en popularité en dépit de la stagnation des salaires et de réformes impopulaires, tandis que Terry Gou, président de Foxconn et candidat de la Chine, a été écarté lors des primaires de la course à l’élection présidentielle de 2020.
La résistance de Taïwan, dont la chute symboliserait la domination chinoise sur le Pacifique, trouve un écho dans toute l’Asie, où l’agressivité de la Chine provoque de plus en plus de craintes, au moment où les capitaux internationaux la quittent pour le Vietnam et l’Indonésie. La crise de Hongkong cristallise les oppositions au capitalisme total chinois, comme une ligne de front dans la guerre froide entre les États-Unis et la Chine, qui recouvre la lutte entre démocratie et « démocrature ». Elle symbolise un nouveau moment de l’Histoire, sous le signe de la démondialisation, où la politique retrouve la primauté sur l’économie. Les manifestants nous rappellent que, pour Pékin, l’adage « un pays, deux systèmes » n’est qu’une fiction, mais que, au XXIe siècle, le principe « un monde, deux systèmes » redevient une réalité.
(Chronique parue dans Le Point du 08 août 2019)