L’urgence climatique se trouve télescopée par l’épidémie de Covid et la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine.
La COP26, qui se réunira début novembre à Glasgow, présente une importance capitale. Elle déterminera largement la possibilité d’atteindre ou non l’objectif fixé par l’accord de Paris de 2015 de limiter à 2 degrés, et dans l’idéal à 1,5 degré, la hausse de la température de la planète en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle.
Or la conférence va s’ouvrir dans un contexte très tendu. D’un côté, la prise de conscience de l’urgence climatique n’a jamais été aussi aiguë à la suite de la multiplication des événements extrêmes qui touchent tous les continents et tous les pays, y compris les plus riches : inondations en Louisiane et à New York, en Rhénanie et en Belgique ou au Henan en Chine ; incendies géants qui dévastent la Californie et le Canada, l’Europe méditerranéenne et la Turquie, la Sibérie ou la Bolivie ; canicules et sécheresses dans l’ouest de l’Amérique du Nord. De l’autre, les émissions de carbone, après avoir diminué de 7 % en 2020 avec les confinements, bondissent de 5 % en 2021 sous l’effet de la reprise et devraient battre de nouveaux records dans les prochaines années.
Les faits valident donc les sombres conclusions du sixième rapport du Giec, qui juge très peu réaliste la tenue des objectifs de l’accord de Paris et met désormais en avant un scénario central reposant sur une augmentation de 3,5 degrés de la température et une hausse de 2 mètres du niveau des mers à la fin du siècle.
Le défi climatique ne peut être relevé que par une très forte coopération internationale. Or il est télescopé par la difficile sortie de l’épidémie de Covid-19 et par la montée des tensions géopolitiques. Ainsi, seuls 110 pays sur 197 ont déposé le 31 juillet dernier un plan climat actualisé pour se conformer à leurs engagements. Pis, ils ne représentent qu’une part minoritaire des émissions, alors que certains des principaux pollueurs, comme la Chine ou l’Inde, qui génèrent respectivement 28 % et 8 % des émissions, ignorent leurs obligations.
Heureusement, il existe aussi des signes positifs qui laissent espérer que la COP26 parvienne à réaligner les États et les acteurs économiques et sociaux au service de la protection de la planète. Le changement le plus spectaculaire concerne le revirement des États-Unis et de la Chine, qui génèrent 42 % des émissions mondiales. Rompant avec le déni de la présidence Trump, Joe Biden a décidé de réintégrer les accords de Paris, organisé un sommet des dirigeants sur le climat en avril, pris l’engagement de réduire de 50 à 52 % les émissions d’ici à 2030 et fait voter un plan d’investissement de 1 200 milliards de dollars dans les infrastructures et la transition énergétique. En Chine, Xi Jinping a annoncé le pic des émissions à 2030 et fixé pour objectif la neutralité carbone en 2060. La Russie, confrontée au dégel du permafrost, qui pourrait libérer d’énormes quantités de carbone et de méthane, se montre aussi plus attentive à l’environnement. La lutte contre le réchauffement climatique constitue ainsi le seul domaine où se poursuit un dialogue entre les grandes puissances.
Dans le même temps, l’Europe a confirmé son avance en articulant étroitement le plan de relance Next Generation EU, qui impose d’affecter 37 % des 750 milliards de subventions et prêts aux États à la transition écologique, et le Green Deal. Il entend réduire de 55 % les émissions sur le continent en 2030 par rapport à leur niveau de 1990, grâce à la généralisation du prix du carbone et à l’instauration d’un mécanisme d’ajustement aux frontières, à la mise en place d’une fiscalité attractive pour les énergies renouvelables et pénalisante pour les fossiles, à la fin du moteur thermique en 2035, à la création enfin d’un fonds social de 72 milliards d’euros afin de soutenir les ménages les plus fragiles et les PME.
La COP 26 constitue l’ultime occasion de sauvegarder les objectifs de l’accord de Paris. Il faut s’appuyer sur le réveil des opinions face à la multiplication des catastrophes écologiques pour ne pas la laisser perdre. La lutte contre le réchauffement climatique, désormais au cœur des enjeux économiques et stratégiques, doit tirer toutes les leçons de l’épidémie de Covid-19. En préservant la coopération internationale tant entre les grandes puissances qu’entre pays du Nord et du Sud, ce pour quoi l’Europe peut jouer un rôle de médiation décisif. En donnant une priorité claire à la réduction des émissions de carbone et de méthane, ce qui invite notamment à accélérer la sortie du charbon et à presser la Chine de ramener son pic autour de 2025 plutôt que 2030. En articulant étroitement l’État et le marché, notamment via la généralisation du prix du carbone, qui implique des mesures compensatoires pour assurer son acceptabilité sociale, et la modification des règles du commerce international. En finançant et en coordonnant la recherche dans les technologies clés des batteries, de l’hydrogène ou de la captation du carbone.
(Article paru dans Le Point du 9 septembre 2021)