L’insécurité et le commentaire au petit pied de l’actualité quotidienne accaparent la campagne présidentielle en 2002. Huit grands thèmes mériteraient pourtant d’être en première ligne.
1- La cohabitation ou comment l’interdire
La campagne de 2002 achève de démontrer que la cohabitation se trouve au principe de la corruption des institutions de la Ve République. La disparition des clivages entre majorité et opposition interdit toute forme de gouvernement responsable et fige le système politique. La cohabition est le régime où l’exécutif a deux têtes mais n’a plus ni cerveau ni membres pour agir. Elle tue toute velléité de changement en instaurant un monopole du non-exercice du pouvoir ; elle est le régime qui asservit la République aux partis, avec pour toute devise la maxime asinus asinum fricat. Pour l’écarter, deux voies s’ouvrent : soit sa suppression dans le cadre de la Ve République, en prévoyant la possibilité, pour une Assemblée nouvellement élue, pendant une période limitée, de voter une motion de censure contre le président, l’obligeant à remettre son mandat en jeu ; soit l’évolution vers un régime parlementaire ou présidentiel.
2- La justice ou comment la réhabiliter
Solon, père fondateur de la démocratie athénienne, rappelait que « la Cité est bien gouvernée quand les citoyens obéissent aux magistrats et les magistrats aux lois ». À cette aune, il est acquis que la France n’est plus un Etat de droit, puisque des pans entiers de la population, une multitude de corporations, des bataillons d’élus et d’agents de l’État -jusqu’à son sommet- refusent de se soumettre à la règle commune, tandis que nombre de juges s’abandonnent à leurs passions en s’émancipant de la loi qu’ils ont pour mission d’appliquer. L’érection de la justice en pouvoir à part entière, la modernisation de son organisation, l’extension des droits des citoyens (à travers, notamment, l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel et de l’exception d’inconstitutionnalité), la mise en place d’une responsabilité effective des magistrats sont donc indissociables.
3- L’état ou comment le réformer
À structures et mode de fonctionnement constants, il est acquis que :
- la dégradation de la qualité des services publics s’accélérera tandis que leur coût explosera, interdisant toute baisse réelle des prélèvements qui a pour corollaire la maîtrise des dépenses publiques ;
- la productivité et la compétitivité du pays seront affectées de manière difficilement réversible. Des mesures courageuses en matière de dépenses et d’effectifs de la fonction publique sont indispensables ; elles seront toutefois inefficaces et rapidement enrayées (voir le cinglant échec de la tentative de réforme de Bercy) si elles ne sont pas précédées d’une redéfinition des missions et du périmètre d’intervention de l’Etat tant vis-à-vis du marché (entreprises publiques, protection sociale…) que des collectivités territoriales et de l’Union européenne.
4- L’Europe politique ou comment la faire naître
À l’instar de l’Allemagne et de l’Italie, la politique européenne de la France s’est thatchérisée, se limitant à la défense du statu quo institutionnel, au maintien d’un juste retour financier via le refus de toute réforme de la PAC, à des retards systématiques dans la transposition des normes de l’Union en droit interne. Dans le même temps, la mise en place du grand marché et de l’euro, la nécessité de coordonner les politiques budgétaires et de contrebalancer le pouvoir de la BCE par une réassurance politique, la montée des risques transfrontières dans le domaine de la sécurité, la perspective historique de la réunification du continent militent pour une union politique. La France a un rôle majeur à jouer dans l’émergence d’un projet politique pour l’Europe, dès lors qu’elle aura cessé d’en être l’homme malade.
5- Le plein-emploi ou comment l’atteindre
Rien ne justifie de renoncer à l’objectif du plein-emploi, sinon le malthusianisme qui se trouve au principe de la politique économique depuis les années 80 : la déflation monétaire, avec des taux réels supérieurs à 3,5 % en moyenne, contre moins de 2 % aux États-Unis, a poursuivi l’éradication méthodique de l’activité, de l’investissement et de la croissance ; puis la loi des 35 heures a sacrifié le potentiel de développement à long terme de l’économie française et l’occasion de revenir au plein- emploi à la chimère de la fin du travail. Le nécessaire rattrapage, non seulement des États-Unis, mais des pays européens les plus performants en termes de richesse par habitant, passe par un triple effort en matière de démographie (soutien à la natalité et immigration ciblée), d’activité (suppression des préretraites et report de l’âge de la retraite pour augmenter le taux d’emploi réduit, à 58 % contre 75 % aux États-Unis) et de productivité du travail (assouplissement des 35 heures).
6- L’économie ouverte ou comment s’y insérer
Face à l’économie ouverte, la France est hémiplégique : une partie du tissu économique et social participe pleinement à la mondialisation et se situe au meilleur niveau mondial ; une autre partie, sous perfusion directe ou indirecte de l’État, s’érige en une contre-société virtuelle où la dépendance se substitue à la contrainte de productivité. D’où un très fort recul de la compétitivité du territoire français, qui se traduit par des départs massifs de cerveaux et de talents, de capitaux et d’activités. La réforme de la fiscalité et du droit social, le refus de la pénalisation à outrance de la vie économique -contrepartie de la déresponsabilisation de la sphère publique- sont les clés de l’amélioration de la position concurrentielle de la France. Et celle-ci constitue un préalable pour pouvoir avancer des propositions utiles en matière de régulation de la mondialisation.
7- La paix civile ou comment la restaurer
La crise de la représentation, la délégitimation de l’État comme principe d’autorité, le délitement du corps social ramènent la France à l’état de nature, soit à la guerre de tous contre tous, qu’il s’agisse de corporations, de statuts, de classes d’âge, de conditions sociales, voire d’origines raciales. La gestion de l’exclusion et l’achat d’une illusoire tranquillité par la généralisation des aides sont parvenus aux limites de leur efficacité. Aujourd’hui, l’assistance nourrit la violence et alimente l’exclusion. L’intégration passe plus que jamais par le travail, ce qui suppose de repenser les mécanismes de l’État providence pour les orienter vers l’emploi. La France se trouve confrontée à la nécessité de redéfinir l’ensemble de ses relations sociales, qu’il s’agisse de ses institutions (protection sociale, droit du travail), de ses règles (articulation de la loi et du contrat, modes de négociation sociale) ou de ses acteurs (rôle de l’État, nature et sphère d’intervention des partenaires sociaux).
8- La liberté ou comment la défendre
Dans le monde de l’après-guerre froide, la paix est moins impossible, mais le risque d’agressions majeures plus probable. La France a choisi de redistribuer les dividendes de la paix en se lançant dans un désarmement unilatéral, jusqu’à se trouver hors d’état d’assurer sa sécurité intérieure et extérieure, et à abandonner au Royaume-Uni, dont l’effort de défense est maintenu à 2,4 % du PIB, contre 1,89 % chez nous, le leadership stratégique de l’Europe. Or la sécurité est la condition première de la liberté et un levier majeur pour la compétitivité. D’où le nécessaire réinvestissement dans les fonctions régaliennes de la puissance publique, qui doit être précédé de la révision d’une doctrine dépassée : au principe de l’indépendance nationale, associé au couple de la dissuasion nucléaire et de la réassurance atlantique, doit succéder un principe de continuité nationale, garanti par une assurance de sécurité européenne et une réassurance conçue en termes d’autonomie stratégique.
(Chronique parue dans Le Point du 12 avril 2002)