La descente en vrille de la France continue. Sans réformes radicales, la Commission européenne sévira.
Après l’agence Moody’s, la Commission européenne a placé la France sous surveillance renforcée, aux côtés de l’Espagne, de l’Irlande et de la Hongrie. Le message adressé à François Hollande est sans ambiguïté :
- la situation de l’économie française continue à se dégrader, contrairement à celle des autres pays de la zone euro ;
- tout report au-delà de 2015 de l’objectif d’un déficit de 3 % du PIB est exclu dès lors qu’il ne servirait qu’à différer les réformes nécessaires ;
- si des mesures correctrices décisives ne sont pas prises dans le cadre du pacte de responsabilité, notamment en matière de coupes dans les dépenses, la France sera justiciable de sanctions dès juin 2014.
Le moindre des mérites de la Commission européenne n’est pas de rétablir la vérité sur l’accélération de la crise française. Pendant les débats surréalistes engagés pour savoir si François Hollande, depuis sa conférence de presse du 14 janvier, doit être classé parmi les sociaux-démocrates ou les sociaux-libéraux, la descente en vrille de notre pays continue. La compétitivité poursuit son recul, entraînant la baisse des exportations. La hausse du coût du travail, à rebours de tous nos partenaires (35 euros l’heure contre 32 en Allemagne, 28 en Italie, 22 au Royaume-Uni et 21 en Espagne), aggrave la détérioration des marges des entreprises (27,7 % contre 41,5 % en Allemagne). Le chômage augmente et touchera plus de 11 % des actifs en 2014. Le choc fiscal bloque la croissance et provoque une fuite devant l’impôt : le déficit public est estimé à 4 % en 2014 et 3,9 % en 2015, alimentant la dette publique, qui atteindra 97,3 % du PIB en 2015 et dépassera 100 % en 2017.
La poursuite de la crise constitue une exception française. La mondialisation est entrée dans une nouvelle ère qui n’oppose plus le Sud triomphant au Nord déclinant, mais les nations capables de se réformer et d’améliorer leur compétitivité aux autres. Cette nouvelle donne bénéficie à nombre de pays développés. Les États-Unis ont renoué avec une croissance de 3 % et évoluent vers un taux de chômage de 6 %, ce qui permet la normalisation de la politique monétaire et la réduction rapide du déficit public. L’Allemagne a surmonté le choc en cumulant une croissance proche de 2 %, le plein-emploi (taux de chômage de 5 %), un excédent commercial record de 199 milliards d’euros, un surplus budgétaire mis au service de la réduction de la dette publique à 74,5 % du PIB en 2015. Si leur situation prête à tout sauf au triomphalisme du fait de la forte diminution de la richesse nationale, du surendettement (dette publique de 132 % du PIB en Italie et privée de 200 % en Espagne) et du niveau élevé du chômage, l’Espagne et l’Italie sortent de récession et enregistrent une spectaculaire amélioration de leur compétitivité et de leurs comptes extérieurs.
La France acquitte au prix fort le choc de défiance et l’absence de réformes depuis 2012. Elle est aujourd’hui isolée dans la chute de la compétitivité, des exportations, de l’emploi et des recettes fiscales. Dès lors, le risque se renforce d’une déstabilisation de la dette française. Et ce d’autant que plus de 200 milliards d’euros devront être émis en 2014 et 2015, dont les deux tiers auprès d’investisseurs étrangers, au moment où les flux de capitaux vers notre pays sont en chute de 77 % et où les derniers acheteurs de titres de la dette sont les Japonais, en raison du doublement de la masse monétaire prévu par les Abenomics. La France se trouve bien au bord du krach et constitue désormais la première menace pour la survie de l’euro, ce qui justifie pleinement l’alerte lancée par la Commission européenne.
Or, pour l’heure, le pacte de responsabilité reste virtuel. En revanche, deux mois après son annonce, le travail de démolition des entreprises, des classes moyennes et des familles s’intensifie : application de la taxe de 75 % sur les hautes rémunérations, fiscalité confiscatoire du capital, projet de non-déductibilité et de progressivité de la CSG, lois scélérates du type Florange ou Hamon, introduction des class actions, pénalisation de l’apprentissage et des stages, encadrement des loyers par la loi Duflot.
François Hollande affronte une heure de vérité, qui exige de transformer la course de lenteur au changement en course contre la montre pour moderniser le modèle français. Le pacte doit prendre la forme d’une baisse des charges pour toutes les entreprises et tous les salaires. La seule contrepartie doit être la baisse des dépenses publiques de 1 150 à 1 100 milliards d’euros d’ici à 2017. Elle doit être réalisée de manière transparente à travers le vote d’une nouvelle loi de finances pour 2014. Le gouvernement doit être changé dans sa composition mais aussi dans sa structure et dans ses méthodes, tant il est vrai qu’on ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés. Enfin, un partenariat pour la croissance et l’emploi dans la zone euro doit être négocié avec l’Allemagne, avec pour objectif la lutte contre la déflation et contre la surévaluation de la monnaie unique.
Le pacte de responsabilité constitue la dernière chance de la France de se réformer de l’intérieur. Voilà pourquoi il doit être non seulement rapidement mis en œuvre mais aussi élargi à la redéfinition du modèle français : réforme de l’État et des structures administratives ; démantèlement du carcan réglementaire et fiscal ; renforcement de l’attractivité ; flexibilité du marché du travail ; équité entre les générations ; intégration des jeunes et des immigrés ; rétablissement de l’ordre public et des valeurs de la République. À défaut, les réformes seront effectuées de l’extérieur, imposées par les marchés, la Commission européenne et l’Allemagne. Avec à la clé une atteinte majeure à la souveraineté nationale et un inévitable choc en retour sous la forme d’une crise démocratique et d’une poussée de violence politique, comme l’ont montré la Grèce et l’Italie.
François Hollande, moins de deux ans après son élection, se trouve confronté aux conséquences de son irresponsabilité et de ses échecs en chaîne : un État au bord de la faillite, une économie exsangue, des classes moyennes laminées, une société disloquée, des institutions délégitimées et des populismes déchaînés. Le temps des petites habiletés et des demi-mesures est terminé. Elles ne trompent plus ni les Français, ni les Européens, ni les marchés. Soit la France engage des réformes radicales et se rétablit comme coleader de la zone euro et de l’Europe au côté de l’Allemagne. Soit elle passe sous tutelle et devient une nation périphérique.
(Chronique parue dans Le Point du 13 mars 2014)