Comment l’Hexagone est devenu l’homme malade du monde développé.
Avec le bon sens de la ménagère souabe dont elle aime à s’inspirer, Angela Merkel a résumé le problème fondamental de l’Europe en ces termes : « L’Europe, c’est 7 % de la population mondiale, 25 % de la production mondiale et 50 % des transferts sociaux mondiaux. » Le calcul appliqué à la seule France explique comment notre pays est devenu l’homme malade du monde développé. La France compte 66 millions d’habitants, soit environ 1 % de la population mondiale. Son produit national s’élève à 2 750 milliards de dollars de PIB, soit 3,7 % du PIB de la planète (75 000 milliards de dollars). Son Etat-providence redistribue 670 milliards d’euros, soit 15 % des 4 500 milliards de dépenses sociales mondiales.
La France, c’est donc 1 % de la population, 3,7 % de la production et 15 % des transferts sociaux mondiaux. Et cette situation est insoutenable.
Démographiquement, parce que l’augmentation de la population (0,5 % par an) est désormais plus rapide que la croissance (0,3 %), provoquant une chute de la richesse par habitant – désormais inférieure de 6 % à la moyenne des pays développés. Économiquement, parce que la stagnation de l’activité comme le recul de l’investissement et de l’emploi découlent de la progression des transferts sociaux de 3 % par an. Socialement, parce que la spirale du sous-développement va de pair avec l’installation d’un chômage structurel, l’enracinement de l’exclusion et le blocage de la mobilité. Financièrement, parce que l’envolée des dépenses sociales constitue la première source des déficits et de la dette publique, qui dépassera 100 % du PIB à la fin de 2015. Politiquement, parce que la situation de dépendance de trois quarts des Français vis-à-vis des revenus sociaux transforme les citoyens en assistés, entrave l’adaptation du modèle économique et mine la République en la réduisant à une coalition hétéroclite de corporations et de clientèles. Stratégiquement, parce que la sanctuarisation des dépenses sociales cannibalise l’État régalien, notamment la politique de défense et de sécurité intérieure, tout en aliénant la souveraineté de la nation entre les mains des marchés financiers et de nos partenaires européens.
L’État-providence français s’est ainsi transformé en une énorme bulle spéculative, déconnectée de l’évolution de la population et de l’activité économique. La redistribution est en passe de réaliser l’euthanasie de la production et de l’emploi marchands sur le territoire national, tout en provoquant l’exil massif des talents et des cerveaux, des entrepreneurs et des fortunes, des investissements et des centres de décision. La France a perdu la maîtrise de son destin pour devenir un risque majeur pour elle-même comme pour la zone euro.
Le rapprochement de la population, de la production et des transferts sociaux donne la pleine mesure de la tragique expérience de politique économique conduite par François Hollande depuis 2012, qui constitue la faute la plus impardonnable depuis la stratégie de déflation poursuivie par Pierre Laval en 1935. En 2012, François Hollande a hérité d’un pays en situation critique ; en moins de deux ans, il l’a placé en coma dépassé avec un pronostic vital lourdement engagé.
Le soutien à la démographie et la politique familiale ont été démantelés, notamment à travers le plafonnement du quotient familial, la suppression de fait des emplois familiaux, la mise sous condition de ressources des allocations. Les effets de ce ciblage sans précédent des familles seront longs à se dessiner, mais il ne peut que briser le dynamisme fragile de la démographie française. Le choc fiscal et social ainsi que l’emballement de lois et de normes meurtrières pour les entreprises – de la loi Florange à la loi Hamon en passant par le compte pénibilité pour les retraites – ont cassé l’appareil de production et coupé la France des marchés mondiaux comme des investissements internationaux, en chute de plus de 70 %. Les dépenses sociales, loin de connaître un ralentissement, ont été relancées par la revalorisation des aides sociales alors que l’inflation est nulle (RSA, rentrée scolaire…), le retour à la retraite à 60 ans pour la moitié d’une classe d’âge (3,5 milliards d’euros par an), le projet de tiers payant généralisé dans la santé (de 1,5 à 2 milliards d’euros).
De cette débâcle émergent a contrario les axes du redressement national :
- La vitalité de la démographie française est un atout majeur qu’il faut conforter. D’abord, en rétablissant le caractère universel de la politique familiale, en érigeant la famille en acteur économique et en la plaçant au cœur des politiques de la santé ou de l’éducation. Ensuite, en réformant drastiquement un système éducatif qui s’est coupé de la transmission du savoir et qui absorbe 6,1 % du PIB pour rejeter chaque année 181 000 jeunes – soit un sur cinq – qui ne savent ni lire, ni écrire, ni compter.
- Comme en 1945, une priorité absolue doit être donnée à la production et à l’emploi, à travers le relèvement du taux de marge des entreprises, la sortie des 35 heures et la flexibilité du marché du travail, la réhabilitation du risque et de l’innovation via la déconstitutionnalisation du mortifère principe de précaution.
- Conformément à la maxime de Pierre Mendès France, qui appelait au basculement des dépenses publiques improductives vers les usages productifs, les 100 milliards de baisses de dépenses publiques à réaliser en cinq ans doivent porter avant tout sur les transferts sociaux.
En ces temps de doute et d’incertitude, le redressement de la France passe par le rassemblement et la mobilisation des Français autour d’objectifs clairs : une population de 80 millions de citoyens responsables et bien formés en 2050 ; le relèvement de la production entre 4 et 4,5 % du total mondial, condition première pour assurer la survie de la solidarité ; une reconfiguration de l’Etat-providence, qui doit être recentré sur la lutte contre les fléaux sociaux contemporains tandis que les transferts sociaux doivent être plafonnés à 30 % du PIB, contre plus de 33 % aujourd’hui.
(Chronique parue dans Le Point du 13 novembre 2014)