La loi Sapin 2 devait lutter contre la corruption. Elle s’avère dévastatrice pour les entreprises.
La démocratie meurt de la démagogie et du mensonge. Elle est en danger quand les mots jurent avec les choses. Ce grand écart se trouve au cœur des deux lois phares de la dernière année du quinquennat de François Hollande. La modernisation du marché du travail que portait à l’origine la loi El Khomri est mort-née. Son objectif consistait à libérer les embauches afin de lutter contre la scandaleuse exception française du chômage permanent qui touche plus de 5,6 millions de personnes. Son contenu a été perverti pour ne plus conserver que la création d’une ruineuse usine à gaz avec le compte personnel d’activité.
La modernisation de la vie économique que poursuit la loi Sapin 2 se trouve elle aussi détournée de son objet. Elle devait très légitimement lutter contre la corruption. Elle a été transformée en un carcan d’obligations dissuasives qui achèvera de ruiner la compétitivité et l’attractivité de la France.
La loi Sapin 2 devait combler le retard pris par la France dans l’application des normes en matière de lutte contre la corruption et mettre notre pays au niveau des législations FCPA aux États-Unis et UK Bribery Act au Royaume-Uni. La création d’un délit de trafic d’influence d’agent public étranger répond ainsi aux critiques de l’OCDE sur la faiblesse des sanctions réprimant la corruption d’élus ou de fonctionnaires d’autres Etats. Mais la loi Sapin 2 va très au-delà, en créant un nouveau monstre bureaucratique qui n’a pas d’équivalent dans le monde développé.
Tout d’abord est instaurée une obligation de prévention des risques de corruption pour toutes les entreprises de plus de 500 salariés ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. Elles devront se doter d’un code de conduite, d’un dispositif d’alerte, de procédures de vérification des clients, de contrôles comptables ainsi que de formations pour leurs cadres.
Le pivot du dispositif est constitué par une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption. Pour cela, elle dispose de compétences très étendues, qui incluent le droit de se faire communiquer des informations sur les décisions de justice mais aussi sur les procédures en cours, ainsi que d’un pouvoir de sanction (jusqu’à 200 000 euros d’amendes pour les dirigeants ou les salariés en cause et 1 million d’euros pour les entreprises). Parallèlement est introduite dans le Code pénal une peine de mise en conformité dont la violation est lourdement sanctionnée (jusqu’à deux ans de prison et 400 000 euros pour les personnes, 2 millions d’euros pour les entreprises).
La lutte contre la corruption fournit surtout le prétexte à un arsenal de mesures dévastatrices pour les entreprises. Les lanceurs d’alerte bénéficieront de la protection de l’État. Les rémunérations des dirigeants devront être votées et contrôlées a posteriori par l’assemblée générale, ce qui les rend très incertaines. Les entreprises disposant d’un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros devront publier la nature de leur activité, leur chiffre d’affaires, leurs effectifs, leurs bénéfices et leurs impôts pays par pays, ce qui ouvre leur stratégie et leurs comptes à tous leurs concurrents. Enfin, les activités de lobbying sont encadrées par la création d’un répertoire national et une obligation d’enregistrement pour rencontrer des ministres, des parlementaires, des élus locaux ou des hauts fonctionnaires. Toutefois, ces dispositions s’appliquent aux organisations patronales et aux chambres de commerce, qui sont considérées comme des représentants d’intérêts, mais non aux syndicats ouvriers, censés incarner l’intérêt général – comme la CGT en fait chaque jour la démonstration !
La loi Sapin 2 constitue une régression inédite par l’envolée des contraintes, des risques juridiques et des coûts qu’elle inflige aux entreprises. Sa seule logique est politique. Elle sacrifie la compétitivité de la France pour tenter de ressouder le Parti socialiste. La loi ne sert plus l’intérêt général ; elle ne reflète que les intérêts partisans de dirigeants aux abois. François Hollande se montre ainsi aussi impitoyable avec tout ce qui crée des richesses et des emplois qu’il est faible envers la CGT.
Le contraste est total entre François Mitterrand et François Hollande. Le premier, après la désastreuse politique de relance de 1981, effectua le tournant de la rigueur en 1983. Le second n’a rien appris ni rien compris du naufrage de 2012. Le tournant de la compétitivité est resté virtuel. Et la loi Sapin 2 nous ramène au début d’un quinquennat tout entier placé sous le signe de la haine de l’entreprise et des hommes qui la font vivre.
(Chronique parue dans Le Point du 16 juin 2016)