La France n’est plus seulement malade de son modèle économique et social, qui génère un chômage permanent, mais de la disparition de la paix civile.
Loin de s’installer dans une reprise durable, l’économie française est en panne. La croissance a été nulle au deuxième trimestre, ce qui rend très improbable l’objectif de 1,5 % espéré par le gouvernement pour 2016. La production industrielle recule et se situe 14 % en dessous de son niveau de 2008. Le tourisme, qui représente près de 8 % du PIB, connaît une chute sans précédent avec une baisse de 7 % des visiteurs étrangers et un effondrement de 12 % du taux d’occupation des hôtels à Paris. Le déficit du commerce extérieur se creuse pour atteindre 24 milliards d’euros au premier semestre alors même que la facture énergétique a été allégée de 7,5 milliards. Le chômage connaît une amélioration en trompe l’œil, revenant à 9,9 % de la population active grâce aux programmes de formation. La stabilisation des demandeurs d’emploi de catégorie A à hauteur de 3,76 millions a pour contrepartie l’envol de 10,7 % en un an des inscrits en catégorie D. Surtout, le fort ralentissement des créations d’emplois souligne le blocage persistant du marché du travail et le caractère artificiel de la réduction du chômage.
L’économie française diverge de la zone euro, qui montre une forte résilience face à la multiplication des incertitudes – de la multiplication des attentats au Brexit. Et ce grâce à la politique monétaire très agressive de la BCE et à l’étalement dans le temps du retour à l’équilibre budgétaire, acté par l’abandon des sanctions dont l’Espagne et le Portugal étaient justiciables. L’Allemagne table sur une croissance de 1,8 % en 2016 et se trouve en pénurie d’emploi avec un taux de chômage de 4,2 %. L’activité progresse de 2,9 % en Espagne qui créera 900 000 emplois en deux ans. Au cours de la même période, la France a cumulé un retard de croissance de 2 points sur la zone euro et n’a que stabilisé le chômage alors qu’il a régressé en moyenne de 12,2 % à 10 % des actifs. Par ailleurs, la dégradation de nos comptes extérieurs contraste avec l’excédent de 134,5 milliards d’euros dégagé au premier semestre par la zone euro, en amélioration de 23 milliards par rapport à 2015.
Le décrochage économique de la France s’explique par quatre raisons. D’abord, les séquelles du choc fiscal de 2012 qui continuent à tétaniser l’épargne et l’investissement, donc l’innovation. Ensuite, le handicap en termes de compétitivité prix, tant vis-à-vis de l’Allemagne que de l’Espagne et de l’Italie, et ce en raison de prélèvements fiscaux et sociaux à la charge des entreprises supérieurs de 90 milliards d’euros à leur étiage allemand. Il va de pair avec un fort déficit de compétitivité structurelle qui résulte de l’obsolescence de l’appareil de production et de la faiblesse de l’effort de recherche. S’y ajoutent les conséquences de l’insécurité, la France étant désormais, avec plus de 230 morts et près de 800 blessés depuis janvier 2015, le troisième pays le plus touché par le terrorisme en dehors des régions en guerre.
La France vit à l’heure d’un état d’urgence sécuritaire fictif du fait de l’absence de stratégie cohérente de lutte contre le terrorisme islamique sur le territoire national. Mais l’état d’urgence économique est, lui, bien réel. Notre pays ne doit qu’au déversement de liquidités et à la réassurance illimitée des dettes souveraines assurés par la BCE de n’être pas violemment sanctionné pour son mélange explosif de baisse de la production, de chômage de masse et de dérive des dépenses publiques. Malheureusement, ce sursis inespéré offert par la BCE n’est pas mis à profit pour moderniser notre pays mais pour multiplier les mesures clientélistes, des quelque 10 milliards de dépenses publiques supplémentaires aux projets de nouvelles exonérations de l’impôt sur le revenu, qui n’est plus payé que par 46 % des ménages.
Nul ne peut douter, après le fiasco de la loi travail, que toute velléité de réforme est abandonnée d’ici à l’élection présidentielle. C’est donc à juste titre que le classement Bertelsmann sur la gouvernance relègue notre pays au dix-huitième rang, soit un nouveau recul de deux positions.
Au terme d’un quinquennat naufragé, la France se présente comme un pays zombie, dont l’économie est à l’arrêt, la société en guerre civile froide, les institutions impuissantes. Elle n’est plus seulement malade de son modèle économique et social, qui génère un chômage permanent et voit 15 % de la population dépendre entièrement des transferts sociaux, mais de la disparition de la paix civile.
Le redressement économique est désormais indissociable du rétablissement de la sécurité. L’heure n’est plus à ravauder le modèle français issu des Trente Glorieuses qui euthanasie la production, nourrit l’exclusion et mine la nation. L’urgence commande d’en inventer un neuf. Au plan économique, il faut donner la priorité à la production, à l’investissement, à l’emploi et à la connaissance. Au plan sécuritaire, il faut élaborer et appliquer une stratégie globale qui coordonne les moyens d’action de l’État et la mobilisation de la société civile. Au plan politique, il faut utiliser l’échéance décisive de l’élection présidentielle de 2017 pour effectuer la pédagogie d’un nouveau modèle français, apte à répondre aux crises et aux risques du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 août 2016)