Le plan d’urgence de Hollande oublie l’essentiel. Il manque surtout une stratégie globale de sécurité.
Depuis le 17 octobre, les manifestations quotidiennes de policiers s’enchaînent à Paris comme en province. Ni les mesures annoncées en catastrophe par le gouvernement ni la mobilisation des syndicats n’ont permis pour l’heure de reprendre le contrôle d’un mouvement qui prend la forme de regroupements spontanés venant de la base.
L’explosion de la colère des policiers constitue un défi majeur. Rien n’est pire en effet que de voir les gardiens de l’ordre public enfreindre ouvertement la loi et déstabiliser l’État de droit dont ils sont les serviteurs. Voilà pourquoi, depuis 1948, les policiers ne disposent ni du droit de grève ni du droit de manifester, a fortiori en uniforme et avec leurs véhicules de service. Et ce dans le but d’assurer la neutralité politique des forces de police. La violation de ces principes est d’autant plus alarmante que la France se trouve placée depuis novembre 2015 en état d’urgence.
En 2016, la mobilisation des policiers vise en priorité leur hiérarchie, les syndicats qui cogèrent le ministère de l’Intérieur et le gouvernement. Mais elle exprime des préoccupations très largement partagées par les Français sur la dérive d’un système politique impotent. La première concerne la propagation d’une violence extrême, entre délinquance et terrorisme, dont l’attaque au cocktail Molotov lancée le 8 octobre à Viry-Châtillon pour tuer quatre fonctionnaires de police est exemplaire. La deuxième touche la multiplication et l’extension des quelque 680 zones de non-droit que compte le territoire national. La troisième est liée à l’effondrement de l’Etat régalien, qui se voit affecter un peu plus de 2 % du PIB, contre plus de 34 % aux transferts sociaux. La quatrième découle de l’impuissance des pouvoirs publics, qui restent enfermés dans le déni de la réalité.
La faiblesse des réactions aux manifestations de policiers constitue une tragique confirmation de la décomposition de l’État. Après avoir brandi la menace de sanctions, Jean-Marc Falcone, directeur général de la Police nationale, se limite à affirmer qu’il ne démissionnera pas – ce qui est par ailleurs la meilleure façon d’appeler à son propre départ.
Le plan d’urgence de 250 millions d’euros annoncé par le ministre de l’Intérieur est loin d’être négligeable. Au plan des effectifs, 4 600 gardiens de la paix seront affectés en 2016 et en 2017 à la sécurité publique. Au plan de l’équipement seront commandés 21 700 gilets porte-plaques et 20 000 gilets pare-balles individuels, 8 000 casques, 5 500 armes modernes et 440 fusils d’assaut HK G36, 3 080 véhicules neufs et 300 véhicules blindés. Au plan immobilier est lancé un programme de réhabilitation des commissariats et des casernes de gendarmerie. Au plan opérationnel il est mis fin aux gardes statiques pour les préfectures et les tribunaux. Au plan judiciaire sera introduite l’anonymisation des procédures pour éviter les représailles contre les policiers.
Mais nul n’accorde plus le moindre crédit aux engagements garantis par François Hollande. Il restera pour l’Histoire le président narcissique et déconnecté de la réalité qui n’a cessé de confondre le discours et la décision. Par ailleurs, le catalogue des mesures élude les deux problèmes majeurs soulevés par les policiers : les conditions de la légitime défense et l’articulation avec la justice, qui s’affirme comme le maillon faible face à l’ascension de la violence. La France reste prisonnière de la schizophrénie de ses dirigeants, qui clament qu’elle est en guerre tout en se refusant à désigner l’ennemi et à donner aux forces de sécurité les moyens de le combattre.
La France est aujourd’hui, avec plus de 230 victimes et près de 800 blessés, le troisième pays le plus touché par le terrorisme. Dans le même temps, elle connaît une radicalisation de la délinquance, notamment chez les mineurs. Elle est désertée par les touristes et par les hommes d’affaires étrangers. Pourtant, elle continue largement à faire de la police comme au temps de Vidocq. L’investissement, et notamment les nouvelles technologies, reste sacrifié aux effectifs, qui absorbent 87 % du budget de la police et de la gendarmerie.
Sous la colère des policiers comme l’angoisse des citoyens, on trouve la perte par l’État du monopole de l’exercice de la violence légitime. Au-delà des mesures d’urgence, la réponse passe par une stratégie globale de sécurité. Au plan national, elle implique de coordonner l’ensemble des services qui concourent à la sécurité, de créer au sein du ministère de l’Intérieur un centre opérationnel permanent, de regrouper les services de renseignement et les forces d’intervention, de consacrer 3 % du PIB à la défense et à la sécurité intérieure en 2025. Au plan européen, elle appelle à relancer la construction communautaire autour d’une Union pour la sécurité, avec pour priorités la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures vitales et la reprise du contrôle des frontières extérieures. Il est plus que temps de rappeler que la sécurité constitue la première des missions de l’État et la condition préalable de la liberté.
(Chronique parue dans Le Point du 03 novembre 2016)