En l’absence de reconfiguration de la zone euro qui devait accélérer sa reprise, la France devra se réformer seule.
Le grand désarroi des démocraties fait de chaque élection un enjeu à haut risque. L’Allemagne, en dépit de sa culture de la stabilité, ne fait pas exception. Angela Merkel accomplira un quatrième mandat. Mais les élections du 24 septembre, que l’on annonçait jouées par avance, sont pour elle une victoire à la Pyrrhus. Son maintien à la Chancellerie n’est acquis qu’au prix d’un recul historique de la CDU-CSU, de la formation d’une coalition fragile et hétéroclite qui devrait rassembler les chrétiens-démocrates avec les libéraux et les Verts, enfin et surtout d’un choc populiste sans précédent depuis les années 1930. L’AfD, qui a réuni 5,8 millions de suffrages, entre en force au Bundestag avec 94 députés. Cette nouvelle donne politique est lourde de conséquences non seulement pour l’Allemagne mais pour l’Europe.
L’Allemagne, contrairement à la France, est en excellente santé économique. Mais cela ne compense pas la hantise du déclassement, la colère devant les inégalités, les doutes identitaires et plus encore la peur de l’immigration et de l’insécurité dans un pays qui a accueilli 1,3 million de réfugiés venant du Moyen-Orient et d’Afrique. Cela ne suffit pas à enrayer la décomposition des partis et de la classe politiques traditionnels qui ne se renouvellent pas assez vite. Ces enseignements méritent d’être entendus dans la perspective des élections italiennes de février 2018.
Même si elle excelle dans la conduite des coalitions qui, contrairement au Royaume-Uni, sont au cœur des institutions et de la culture politiques allemandes, Merkel voit son autorité profondément affaiblie en Allemagne comme en Europe, car ce sont les valeurs et la méthode dont elle se réclame qui ont été sanctionnés.
Macron compte également parmi les grands perdants. L’Allemagne de Merkel, avec laquelle il avait négocié un accord sur la refondation de l’Union, était le pivot de sa stratégie politique. La relance de l’Europe fut l’étendard de la campagne présidentielle. La réforme du modèle économique et social français a été présentée non pas comme l’outil du redressement national mais comme le moyen de convaincre l’Allemagne de transformer l’Europe. D’où une cascade de propositions, développées dans les discours de la Pnyx puis de la Sorbonne, tendant à accélérer l’intégration européenne pour instaurer un véritable fédéralisme : transformation de la zone euro en une union de transfert avec un budget commun ouvrant la voie à la mutualisation des dettes ; convergence sociale et fiscale avec les taxes sur le carbone et les transactions financières ; investissement dans le numérique ; politique de l’environnement ; contrôle des frontières et des migrations ; création d’une défense autonome et d’une force d’intervention commune.
Cette stratégie est largement mise en échec par l’élection allemande. Merkel n’a plus la légitimité pour imposer à la future coalition une refondation de l’Europe dont le cœur était la conversion de la zone euro en une union de transfert. Le socle d’un nouveau projet européen se déplace vers la sécurité, qui pourrait fédérer le nord et le sud, l’est et l’ouest du continent. Mais un important passif a été accumulé dans ce domaine avec les choix budgétaires de 2017 et 2018 qui compromettent la remontée en puissance de nos armées et interdisent à la France de respecter l’objectif de consacrer 2 % de son PIB à la défense en 2025.
En l’absence de reconfiguration de la zone euro qui devait accélérer sa reprise, la France devra se réformer seule et ne pourra compter que sur ses efforts pour dynamiser la croissance et l’emploi. L’amélioration de la conjoncture ne suffira pas à répondre aux problèmes structurels de la perte de compétitivité, du chômage de masse et de la dérive des finances publiques ; seules des réformes profondes peuvent impulser un rattrapage durable. Or si les ordonnances sur le travail ouvrent la voie à un nouveau contrat social dans le secteur privé, le projet de loi de finances pour 2018, tout en desserrant le carcan fiscal sur ménages et entreprises, sanctuarise l’État dans ses dépenses (425 milliards d’euros), ses effectifs, son déficit (83 milliards) et sa dette (émission record de 195 milliards).
Il est très positif que la France, après une longue éclipse, s’exprime en Europe et sur l’Europe. Mais les mots, comme l’a montré Barack Obama, ne sont rien sans les moyens de la puissance et la capacité à agir. Merkel n’a plus les moyens politiques de ses intentions. Macron ne dispose pas des moyens économiques de ses ambitions. La première ne pourra faire preuve d’audace sur l’Europe que si le second se montre radical dans la transformation de notre modèle économique et social qui relève plus que jamais d’un Agenda 2010 à la française.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 octobre 2017)