Il ne fallait pas une réforme, mais une révolution. Les mesures de Muriel Pénicaud suffiront-elles ?
La formation professionnelle joue un rôle central pour le redressement de la France comme pour la réponse aux grands défis de l’économie du XXIe siècle. La réduction de la croissance potentielle s’explique par la chute du capital productif mais aussi par l’insuffisance de son capital humain. La reprise bute sur quelque 330 000 emplois non pourvus du fait du chômage structurel qui représente environ 9 % de la population active. Le marché du travail est ultrasegmenté, opposant des inclus très protégés et des exclus précarisés, tels les jeunes et les non-qualifiés dont le taux de chômage s’élève respectivement à 21 et 18 %.
Les séquelles des chocs des dernières décennies vont être aggravées par les grandes transformations qui bouleversent le travail : l’allongement de la vie active et l’enchaînement de carrières professionnelles successives ; l’alternance des phases d’activité et de reconversion ; la révolution numérique, qui remettra en question la moitié des emplois existants au cours des prochaines décennies ; la polarisation des postes, des revenus, des entreprises et des territoires. Le capital humain devient décisif. Et le nerf de la guerre économique sera la formation. Or la France, qui avait joué un rôle pionnier au début des années 1970, a laissé son système de formation professionnelle dépérir en le détournant de son objectif pour en faire un levier de financement des partenaires sociaux. Le bilan est accablant. Notre pays consacre 31,5 milliards d’euros à la formation professionnelle – soit 1,6 % du PIB –, contre 24,5 milliards à l’enseignement supérieur – soit 1,2 % du PIB . Pourtant, seuls 36 % des actifs y ont accès, contre 53 % en Allemagne et 60 % en Scandinavie. Les jeunes, les chômeurs et les non-qualifiés sont largement exclus alors que les cadres en bénéficient deux fois plus que les ouvriers. On ne dénombre que 4,3 millions de comptes personnels de formation pour 25 millions d’actifs. Enfin, 90 000 prestataires se redistribuent la manne financière en collusion avec les partenaires sociaux, en fonction de prix qui peuvent varier du simple au triple et sans aucune évaluation de leur contenu. La formation professionnelle n’est donc pas en attente d’une réforme, mais d’une révolution. Grâce à Muriel Pénicaud, elle s’y engage enfin ! Nul ne peut en effet contester que le projet du gouvernement réalise une transformation aussi radicale que salutaire.
Hormis le taux de cotisation de 1,23 % de la masse salariale pour les entreprises de moins de 10 salariés et de 1,68 % au-delà, tout change. Le pivot du système devient le compte personnel de formation, crédité de 500 euros par an dans la limite de 5 000 euros (800 et 8 000 euros pour les moins qualifiés et les chômeurs). Chacun pourra l’actionner librement grâce à une application mobile, soit pour se former en dehors de ses heures de travail, soit pour une formation concertée avec l’entreprise. Les Urssaf assureront la collecte des cotisations dans des conditions transparentes. Une agence nationale, France compétences, évaluera les entreprises prestataires et leur formation tout en gérant les fonds dédiés aux chômeurs et à la relance de l’apprentissage. Les organismes paritaires collecteurs agréés seront restructurés, regroupés et leurs missions recentrées autour de la prospective, des métiers, des diplômes professionnels et des centres de formation des apprentis. Simultanément, un plan de 15 milliards d’euros sur cinq ans est prévu pour accompagner l’adaptation des emplois et des compétences à la révolution digitale.
Les protestations des partenaires sociaux paraissent peu légitimes et se limitent à la défense d’intérêts corporatistes indissociables de leur système de financement occulte. La nouvelle gouvernance respecte les compétences de chaque acteur et articule de manière claire les choix personnels, le marché, les partenaires sociaux et l’État. Les innombrables instances de concertation, de décision, de collecte, de redistribution qui constituaient autant de pompes à finance sont supprimées. La personne redevient l’acteur central et peut s’adresser directement aux entreprises de formation pour renforcer ses compétences. Les prestataires de services sont évalués et mis en concurrence, ce qui favorisera un meilleur rapport qualité/prix. Les partenaires sociaux conservent la maîtrise des filières, des métiers et des diplômes professionnels. L’État certifie et oriente la politique nationale en direction des chômeurs et des apprentis. Au total, le système est plus simple, plus transparent, plus efficace et plus équitable.
Il reste que le pari est loin d’être gagné. Très souvent, en France, l’excellence des intentions et des schémas de principe est désarmée par le défaut dans l’exécution. Le succès dépendra de la généralisation du compte personnel de formation et surtout de la qualité de l’application déployée. Jusqu’à présent, l’immense majorité des projets digitaux des administrations sociales ont tourné au désastre. Or le gouvernement n’a plus droit à l’erreur en matière de formation. Elle est l’arme la plus puissante pour renouer avec le plein-emploi, pour évoluer vers une croissance inclusive et pour mettre en échec le populisme en permettant à chaque citoyen d’améliorer ses compétences et de construire sa trajectoire professionnelle. À condition d’être effectivement remise au service des individus et du bien commun.
(Chronique parue dans Le Point du 15 mars 2018)