Au Bénin, le président Patrice Talon a exclu tous les partis d’opposition. Le pays basculera-t-il dans la démocrature ?
Le Bénin, ancienne colonie française du Dahomey, est un petit pays de 11,2 millions d’habitants enclavé entre l’immense Nigeria, première puissance économique de l’Afrique, et le Togo. Mais il est le symbole du mouvement de démocratisation du continent qui a lancé son décollage économique dans les années 2000. Depuis trente ans, le Bénin, même s’il continue à souffrir de la pauvreté en raison de la forte croissance de sa démographie, est resté un exemple en matière de pluralisme, de vitalité du débat public et de paix civile. Et ce jusqu’aux élections législatives du 28 avril 2019, qui marquent un tournant historique. Elles pourraient faire basculer le pays dans la démocrature sous la férule de Patrice Talon, président élu en avril 2016 dans des conditions douteuses, qui se veut l’émule des hommes forts prétendant assurer le développement et la sécurité en supprimant la liberté politique.
Fin 2018, au prétexte de rationaliser un paysage politique éclaté entre quelque 250 partis, le président béninois a instauré un nouveau code électoral qui oblige les partis à s’enregistrer sur le fondement d’un certificat de conformité délivré par le ministère de l’Intérieur et d’un quitus fiscal du Trésor public. Or seules les deux formations qui soutiennent Patrice Talon ont été agréées par la commission électorale pour participer aux élections législatives. Les 5 millions d’électeurs béninois ont transformé ce coup d’État électoral en référendum contre leur président. Ils ont voté avec leurs pieds, s’abstenant à hauteur de 73 %, selon les autorités, et 90 % en réalité, mais aussi avec leur tête, un tiers des votes exprimés étant blancs ou nuls – ce qui invalide l’élection des 83 députés talonistes faute d’atteindre le seuil requis de 10 % des inscrits. Des violences sans précédent ont par ailleurs émaillé le scrutin dans les départements du Borgou, des Collines et du Zou, faisant au moins deux morts. La coupure par les autorités des communications, d’Internet et des réseaux sociaux le soir du scrutin a exacerbé la colère de la population. Elle a basculé dans l’émeute à Cotonou pour empêcher l’arrestation de l’ancien président, Thomas Boni Yayi, par les forces de police et l’armée, encadrées par la garde prétorienne qui assure la sécurité de Patrice Talon.
Le Bénin n’est pas confronté à une secousse électorale mais à une crise politique majeure dont dépend la survie de sa démocratie. Les lois scélérates qui ont transformé les élections législatives en monopole des partis présidentiels s’inscrivent dans un plan méthodique pour transformer le Bénin en démocrature – régime imaginé par Vladimir Poutine qui cumule autocratie, mainmise sur l’économie et quadrillage de la société, suppression de l’État de droit, manipulation de l’opinion et des élections.
Le premier acte a été l’appropriation de l’économie par Patrice Talon, pourtant déjà l’homme le plus riche du Bénin. Outre le contrôle total de la filière coton, le président, depuis son élection, s’est attribué le monopole de la production des noix de cajou, de l’importation des produits pétroliers, du transport par conteneurs ainsi que la propriété du port de Cotonou, infrastructure vitale qui dessert aussi le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Le deuxième acte fut l’acquisition ou la fermeture des médias, reléguant l’information indépendante sur les réseaux sociaux. Le troisième acte consista dans les procès politiques contre les dirigeants de l’opposition, contraints de choisir entre la prison ou l’exil : ainsi Sébastien Ajavon, troisième à l’élection présidentielle de 2016, s’est vu accusé de trafic de drogue, relaxé en première instance, puis condamné à 20 ans de prison par un tribunal spécial créé pour la circonstance. Le quatrième acte s’est joué avec la tentative d’instaurer un régime de parti unique à l’occasion des élections législatives.
Trois scénarios sont aujourd’hui possibles. Le déchaînement de la répression permet à Patrice Talon de faire régner la peur pour établir une démocrature et supprimer toute forme d’opposition dans la perspective de l’élection présidentielle de 2021. Le soulèvement des Béninois, qui, porté par la dynamique à l’œuvre en Algérie ou au Soudan, transcende tous les clivages ethniques, religieux ou territoriaux, débouche sur le départ du président et un retour à la démocratie sous l’égide des anciens chefs de l’État. Une médiation pour l’organisation de nouvelles élections est imposée par la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest et le Nigeria – qui absorbe officiellement 80 % des exportations et génère 20 % du PIB à travers le commerce informel.
L’enjeu est majeur pour le Bénin mais aussi pour l’Afrique de l’Ouest, dont la stabilité politique, la transition démocratique et la sécurité sont menacées par la dérive autocratique de Patrice Talon. Boko Haram connaît en effet un inquiétant regain d’activité qui serait conforté par le développement des troubles dans le nord du Bénin. Voilà pourquoi le Bénin symbolise aujourd’hui le destin de l’Afrique, écartelée entre le développement et l’intégration économiques d’une part, la régression dans le pouvoir absolu et la violence d’autre part. Voilà pourquoi il faut interrompre sa transformation en démocrature pendant qu’il en est encore temps. Voilà pourquoi l’Afrique de l’Ouest mais aussi l’Europe et la France doivent se mobiliser pour soutenir les Béninois dans leur lutte pour la sauvegarde de la démocratie.
(Chronique parue dans Le Figaro du 06 mai 2019)