La France, qui avait des relations privilégiées avec l’Afrique de l’Ouest, s’est trouvée déstabilisée par l’émergence d’une Afrique globale.
L’Afrique concentre tous les grands enjeux du XXIe siècle. Elle comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 et sera le seul continent jeune dans un monde vieillissant. Alors qu’elle avait décollé dans les années 2000 avec une croissance de 5,5 % par an supérieure à la progression de la population, son développement a été télescopé par la pandémie et surtout la crise alimentaire provoquée par l’invasion de l’Ukraine – ces chocs soulignant sa dépendance aux importations pour la santé et les céréales. Le continent possède par ailleurs d’immenses ressources en énergie et en métaux rares qui sont clés pour la révolution numérique comme pour la transition écologique. Il est particulièrement exposé au réchauffement climatique alors qu’il ne produit que 2 % des émissions de la planète. Enfin, l’Afrique se trouve confrontée à un double mouvement de régression de la démocratie, sous l’effet de la multiplication des régimes autoritaires et des coups d’État, et de déstabilisation par le djihadisme qui progresse le long de la côte est jusqu’au Mozambique et à l’ouest vers le golfe de Guinée.
Alors qu’elle avait été délaissée par les États-Unis et l’Europe après la guerre froide, ce qui ouvrit un vaste espace à la Chine, à la Russie, au Brésil et à la Turquie, l’Afrique a retrouvé un rôle stratégique avec l’engagement de la grande confrontation entre les régimes autoritaires et les démocraties. La Chine, à travers ses exportations et le financement d’infrastructures, et la Russie, à travers ses interventions militaires organisées autour de la légion Wagner, cherchent à la mobiliser dans leur croisade contre l’Occident.
Mais l’Afrique a considérablement changé depuis la fin du XXe siècle. Elle participe à la naissance d’un Sud global, même si la situation des cinquante-cinq États qui la composent demeure très diverse. Elle compte des pays en très forte croissance. Elle s’est urbanisée et connectée, construisant son développement autour de l’émergence d’une classe moyenne et de nouvelles élites. Elle s’est insérée dans la mondialisation et a diversifié ses partenaires. La France, qui avait des relations privilégiées avec son « pré carré » d’Afrique de l’Ouest, s’est trouvée déstabilisée par l’émergence de cette Afrique globale. Au cours de la dernière décennie, ses exportations ont doublé quand celles de la Chine étaient multipliées par vingt. Nombre de démocraties ont été remplacées par des dictatures, comme au Bénin, ou sont retombées dans des coups d’État en chaîne, avec des régimes qui cherchent à construire leur légitimité sur le ressentiment antifrançais. Enfin, l’opération Barkhane au Sahel, en dépit des succès tactiques contre les groupes djihadistes, se conclut par un triple échec stratégique.
Le moindre des paradoxes n’est pas que la Françafrique relève aujourd’hui du mythe, qu’il s’agisse des interférences dans la vie politique des pays africains ou du contrôle des activités économiques, tandis que le néocolonialisme est le fait de la Chine à travers la dépendance à la dette qui conduit à l’appropriation des actifs stratégiques, et de la Russie, à travers les exactions commises par ses mercenaires et la spoliation des mines.
La France et l’Europe doivent ainsi s’appuyer sur la prise de conscience par les États africains des risques de la mise sous influence par la Chine, illustrée par l’Éthiopie, ou de l’alignement sur la Russie, avec la tragique dérive de la guerre d’Ukraine, pour proposer une nouvelle donne à l’Afrique. Elle doit prendre en compte l’évolution du continent tout en reposant sur une approche globale réarticulant développement économique, diplomatie et sécurité. Et ce autour de huit principes. Conforter les cinq puissances motrices du continent (Nigeria, Afrique du Sud, Égypte, Algérie et Maroc). Soutenir la mise en place progressive de la grande zone de libre-échange qui réunit quarante-quatre pays. Favoriser les transferts de technologie dans la santé et les énergies décarbonées. Miser sur les atouts français dans les domaines clés de l’énergie, de l’agriculture, de la santé, des infrastructures et de la gestion des villes. Proposer des solutions concrètes aux urgences concernant la crise alimentaire et le surendettement. Investir dans le soft power à travers l’éducation et la culture. Changer de stratégie contre le terrorisme islamiste en donnant la priorité aux politiques de cohésion nationale, en réintégrant les minorités et en concentrant la riposte militaire sur les combattants étrangers afin d’isoler et de cibler les membres d’al-Qaida et de l’État islamique. Jouer le jeu de l’autonomie de l’Afrique sans chercher à imposer les valeurs ou les normes occidentales.
(Chronique parue dans Le Figaro du 10 octobre 2022)