L’UE n’engage pas les initiatives qui permettraient de relancer le capitalisme européen. Et sous la pression de sa bureaucratie, elle refuse de revenir sur les erreurs qui ont ruiné son agriculture et son industrie.
L’Union européenne se trouve dans une situation paradoxale. D’un côté, elle est télescopée par les chocs qui se multiplient et qui remettent en cause non seulement ses institutions et ses règles mais ses valeurs. De l’autre, elle dispose d’une chance unique de renouer avec son histoire et son destin en incarnant et défendant la liberté politique et économique dans le XXIe siècle.
Pour cela, l’Union européenne, fondée sur le principe que la paix se construit autour du droit et du commerce, doit se transformer en puissance, capable d’assurer sa sécurité. Et ce autour de trois grandes priorités. La production et la compétitivité tout d’abord, ce qui suppose d’améliorer tous les facteurs de production afin de recréer des avantages comparatifs. La défense ensuite, qui impose de mettre en place un plan de réarmement et une préférence européenne pour répondre à la menace de la Russie et du djihadisme comme à l’alignement des États-Unis sur les empires autoritaires. La souveraineté enfin, à travers le renforcement de la résilience de l’économie et de la société ainsi que la réduction de la dépendance aux autres blocs.
En faisant de l’Europe sa première cible avant même la Chine, Donald Trump a provoqué un électrochoc qui avait semblé réveiller l’Union. Ursula von der Leyen avait ainsi promis de répliquer aux mesures protectionnistes des États-Unis, de lever les obstacles réglementaires à la croissance et l’innovation via des lois omnibus, d’aménager le « Green Deal » pour soutenir une industrie exsangue, de faciliter le financement du réarmement à hauteur de 800 milliards d’euros en sortant les investissements de défense du calcul des déficits publics.
Mais le sursaut espéré a fait long feu. Non seulement l’Union ne prend pas les mesures indispensables pour protéger son potentiel de développement, les conditions de vie de sa population et sa sécurité, mais elle s’enferme dans le déni des réalités et le refus de mettre en cause les principes et les politiques qui ont échoué.
Dans le domaine commercial, l’Union, après avoir brandi la fermeté, a choisi l’apaisement face à Donald Trump, quand la Chine optait pour l’affrontement et l’escalade en ripostant non seulement par des hausses symétriques de droits mais aussi par la vente des titres de la dette américaine et par la restriction aux exportations de terres rares. Pékin a ainsi fait plier Washington en quelques jours tandis que l’Europe, faute de protections efficaces, se trouve prise sous le feu croisé du protectionnisme des États-Unis et du dumping de la Chine, qui déverse en toute impunité ses surcapacités sur le grand marché.
L’industrie européenne, dont les parts du marché mondial ont fondu de 22,5 % à 14 % depuis 2000 quand celles de la Chine s’envolaient de 10 % à 28 %, est menacée de mort. La production d’acier, revenue de 7 % à 4 % du marché mondial, est laminée par les exportations chinoises qui représentent plus du tiers du marché et sont exonérées de tout droit à hauteur de 30 millions de tonnes alors que les surcapacités atteignent 550 millions de tonnes. L’activité de la chimie a chuté de près de 15 % depuis 2020. Le nombre d’automobiles fabriquées sur le continent s’est effondré de 18,7 à 14 millions depuis 2017. Shein et Temu ont liquidé le textile européen en s’appuyant sur la franchise de droits pour les petits colis. Avec pour conséquences la chute des projets internationaux sur notre continent – en recul de 5 % – et la délocalisation accélérée des sites industriels et des centres de recherche vers l’Amérique du Nord (+ 20 %).
Face à ce naufrage, l’Union reste accrochée à son modèle d’un marché ouvert régulé par la concurrence. Alors que 3 millions d’exploitations ont disparu en dix ans et en dépit de leur révolte au début de 2024, les agriculteurs attendent toujours la réforme du plan From Farm to Fork, qui planifie la diminution de 15 % de la production, donc la dépendance et l’insécurité alimentaires du continent.
Alors que l’énergie est 4 fois plus chère qu’en Asie et 5 fois plus qu’aux États-Unis, alors que la priorité absolue donnée aux renouvelables vient de provoquer en Espagne et au Portugal un black-out géant qui a plongé dans le noir 60 millions d’Européens, la trajectoire pour 2040 occulte la dimension de la sécurité, récuse la notion de décarbonation qui assure la neutralité entre les technologies et poursuit l’éradication du nucléaire. Alors que l’automobile européenne joue sa survie, les 15 milliards de pénalités liées à des objectifs de ventes de véhicules électriques déconnectés des réalités du marché et de l’état des infrastructures n’ont pas été supprimés mais étalés sur trois ans. Alors que la liberté et la sécurité de l’Europe n’ont jamais été plus menacées depuis les années 1930, alors qu’il n’est pas d’investissement plus éthique et plus responsable dans une démocratie à l’âge des empires et des autocrates que la défense, la taxonomie et les critères ESG bloquent le financement de l’industrie de l’armement en l’assimilant à la pornographie, aux addictions et aux jeux d’argent.
Le constat est aujourd’hui clair. L’Union européenne n’engage pas les initiatives qui permettraient de consolider le grand marché et de relancer le capitalisme européen, comme l’union bancaire ou l’union des marchés de capitaux. En revanche, sous la pression de sa bureaucratie, elle refuse de revenir sur les erreurs qui ont ruiné son agriculture, les télécommunications – leader mondial en 2000 -, l’énergie, l’acier, la chimie ou l’automobile. Elle sanctuarise un « Green Deal » destructeur pour l’économie comme pour la société et s’oppose, avec le soutien de la BCE, à toute remise en cause de la taxonomie ou des directives CRDS et CS3D. Elle stérilise l’épargne européenne pour la mettre à la disposition des États-Unis, au beau milieu d’une course mondiale pour les capitaux (en 2024, les États et les entreprises ont emprunté 25 000 milliards de dollars, soit trois fois plus qu’en 2007). Elle réalise l’euthanasie de l’innovation par la réglementation, avec plus de 13 000 nouveaux textes depuis 2019, contre 3 500 aux États-Unis.
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Chronique parue dans Le Figaro du 19 mai 2025