La protection des 9 millions d’employés du secteur public a pour contrepartie la constitution d’un sous-prolétariat de 6 millions d’exclus.
Le chômage permanent reste une exception française. La zone euro est particulièrement touchée, où le chômage frappe 10,2 % de la population active du fait du retour de la récession. Avec 2,85 millions de chômeurs et 4,25 millions de demandeurs d’emploi, un taux de chômage s’élevant à 14,5 % de la population active si l’on intègre les travailleurs découragés, le chômage atteint en France son niveau le plus élevé depuis douze ans. Il s’inscrit dans la moyenne des pays de la zone euro, à la notable exception de l’Allemagne, qui, avec plus de 41 millions d’emplois et un taux de chômage réduit à 6,4 %, connaît une pénurie de main-d’œuvre. Le chômage français se distingue cependant par son caractère structurel. La France demeure le seul grand pays développé à n’avoir jamais renoué avec le plein-emploi depuis la crise des années 70, le taux de chômage n’ayant jamais été inférieur à 7 % depuis 1977.
À l’instar des déficits et de la dette publics, le chômage français n’est pas lié à la crise de la mondialisation mais à un modèle économique et social fondé sur la croissance à crédit et la protection du secteur public. Le chômage permanent, qui touche 10 % de la population active depuis trois décennies, comporte trois composantes. La première, keynésienne, ne provient pas de l’insuffisance de la consommation mais de la baisse de la croissance potentielle avec l’atonie de l’investissement et la chute des exportations. La deuxième, déterminante, est classique, liée à la hausse du coût du travail (33 euros l’heure, contre 29 euros en Allemagne), à l’euthanasie du secteur privé et à la perte de compétitivité des entreprises. La troisième renvoie au retard d’adaptation aux mutations technologiques, lié à la désintégration du système éducatif. Le chômage permanent traduit l’échec de la France pour moderniser son appareil productif au sein de la mondialisation. Il découle d’une société où la protection des 9 millions d’employés du secteur public – dont 5,4 millions de fonctionnaires pour 65 millions de citoyens, contre 4,9 millions en Allemagne pour 82 millions d’habitants – a pour contrepartie la concentration des risques sur les salariés des entreprises exposées à la concurrence internationale et la constitution d’un sous-prolétariat de 6 millions d’exclus.
La France s’est montrée aussi fertile en fausses solutions pour lutter contre les conséquences du chômage permanent qu’indigente pour s’attaquer à ses causes. Le malthusianisme, le protectionnisme, la distribution de droits et de revenus fictifs furent les trois mamelles des politiques de l’emploi. La floraison des primes défiscalisées, l’accélération de la hausse du salaire minimum qui s’applique à 18 % des effectifs du secteur privé, le durcissement du droit du travail, la multiplication des emplois subventionnés, la loi des 35 heures ont augmenté artificiellement la rémunération du noyau dur des salariés au détriment de l’emploi. Dans le même temps, la hausse de 18 % du nombre de fonctionnaires depuis 2002, associée à des gains de pouvoir d’achat dans la fonction publique largement supérieurs à la croissance, a biaisé le marché du travail. La rémunération moyenne d’un fonctionnaire dépasse de 11 % celle d’un salarié du secteur privé – à laquelle s’ajoute l’avantage de la garantie de l’emploi estimé à 20 % -, pour un coût moyen à l’embauche (carrière et retraite) s’élevant à 2 millions d’euros. Loin de s’attaquer au problème fondamental du coût du travail en raison de sa surréglementation et du poids de l’État-providence – avec des cotisations sociales atteignant le niveau record de 18,6 % du PIB -, la classe politique française continue à encourager des solutions illusoires et dangereuses : protectionnisme qui couperait l’économie française de la croissance mondiale et des consommateurs des pays émergents ; emplois jeunes ou verts et créations massives de postes dans la fonction publique à la charge d’un État en faillite ; recours miraculeux à la TVA sociale censée rétablir la compétitivité sans peser sur le pouvoir d’achat ; généralisation du contrat à durée indéterminée ou réduction du temps de travail à 32 heures qui porteraient le coup de grâce à la compétitivité des entreprises.
Le chômage permanent ne pourra être éradiqué que par un nouveau pacte fondé sur la priorité accordée à la production et à l’emploi. Contre le chômage keynésien, il reste possible, à défaut de relance, d’éviter d’enfermer la zone euro dans une déflation à la japonaise. La clé réside dans le rééquilibrage de la politique économique européenne en érigeant la BCE en prêteur de dernier ressort et en monétarisant les dettes publiques. Contre le chômage classique, il est impératif de réduire le coût du travail sans baisser les salaires, ce qui passe par la hausse de la durée légale de 35 à 38 ou 39 heures (la moyenne européenne se situe à 38,6 heures), par une diminution parallèle des charges et des dépenses de transfert, par l’allégement du droit du travail. Enfin, contre le chômage technologique, un investissement massif doit être réalisé dans l’éducation, la formation et l’innovation. En bref, il faut travailler et produire plus pour travailler tous.
(Chronique parue dans Le Point du 05 janvier 2012)