Les tragédies de Toulouse et de Montauban ont frappé la France au cœur. Des réponses doivent être apportées.
La folie de Mohamed Merah a touché la France au cœur. Tout en conservant la part de mystère propre à la démence furieuse, elle se situe au confluent de quatre phénomènes. La dérive personnelle d’un enfant perdu des banlieues, passé de l’échec scolaire à la petite délinquance puis de la prison au fondamentalisme et au terrorisme. La segmentation de la société française et la ghettoïsation du territoire, illustrée par des banlieues où l’islam a moins chassé la République qu’occupé l’espace qu’elle laissait vacant. La mutation d’al-Qaida qui, sous la pression de l’efficacité croissante de la lutte contre le terrorisme dans les pays développés, se concentre sur les États effondrés – à l’image d’Aqmi dans l’Afrique subsaharienne – et privilégie l’action d’individus radicalisés à celle de réseaux. Enfin, le retour en force de la religion dans la politique, tant à l’intérieur des nations que dans le système international, comme le montrent les révolutions du monde arabo-musulman.
Ce drame marque un tournant majeur dans l’élection présidentielle. La gestion de la crise fut exemplaire dans la conduite opérationnelle des opérations policières comme dans l’affichage d’une union nationale face à une violence nihiliste. Au-delà des critiques sur sa personnalité et sur la stratégie d’un candidat qui a pris le parti de cliver, Nicolas Sarkozy a été réhabilité dans sa fonction et sa stature de chef de l’État. Dans le même temps, François Hollande se trouve dans la position inconfortable d’un favori sur la défensive, contraint de se concentrer sur la sécurité qui continue à diviser profondément la gauche. François Bayrou s’est discrédité en refusant l’union nationale qu’il appelait de ses voeux au moment où elle s’imposait, la réduisant à une simple posture. Marine Le Pen s’enferme dans les obsessions xénophobes traditionnelles de l’extrême droite, cultivant sous couvert de guerre au fondamentalisme la haine de l’islam. Jean-Luc Mélenchon, constant dans son radicalisme, est le seul avec Nicolas Sarkozy à bénéficier de la cohérence de son positionnement et progresse au détriment de François Hollande.
Plus encore que ces positions relatives, la structure et la dynamique de l’élection se trouvent bouleversées. De référendum sur le président sortant elle se recentre sur la capacité à mesurer les risques et à gérer les crises. Et Nicolas Sarkozy, de probable vainqueur sans lendemain du premier tour, redevient un vainqueur possible du second tour.
Les attentats de Toulouse et de Montauban, en réintroduisant avec une brutalité inouïe la réalité au cœur de la campagne présidentielle, appellent à déchirer le voile de démagogie qui a interdit de débattre du redressement de la France. L’heure n’est plus à célébrer un rêve français irénique autant que dérisoire face aux défis présents, ou à mimer les très riches heures du roman national en prenant d’assaut des Bastille fantasmagoriques. L’heure n’est pas aux législations de circonstances prises sous le coup de l’émotion et dont la multiplication n’a d’autre effet que d’affaiblir l’État de droit qu’elles sont censées renforcer. L’heure n’est surtout pas, sous couvert de lutte contre le terrorisme, à légitimer une forme de guerre contre l’islam, en oubliant que trois jeunes soldats d’origine maghrébine et de confession musulmane, parfaitement intégrés et ayant fait le choix de porter les armes de la France, figurent parmi les victimes de Mohamed Merah.
L’heure est venue d’apporter des réponses aux questions fondamentales que se posent les Français : comment inverser le mouvement de déclin de la France et de déclassement de ses citoyens ? Comment redresser la compétitivité et les comptes publics ? Comment sortir du chômage permanent ? Comment refaire une nation ? Comment refonder l’euro et relancer l’intégration européenne ?
Il est impératif de débattre, sans attendre l’entre-deux-tours, de la réinvention du modèle national. Sous la diabolique trajectoire de Mohamed Merah pointent nombre de pathologies du mal français : l’effondrement d’un système scolaire qui abandonne chaque année 161 000 jeunes sans aucune formation ; la segmentation et l’exclusion du marché du travail, qui sont la contrepartie de son manque de flexibilité ; les effets pervers d’un État providence qui joue désormais contre la cohésion sociale et la citoyenneté ; les dérives sécuritaires d’un État trop souvent confondu avec sa police.
L’élection présidentielle de 2012 constitue l’ultime occasion de moderniser la France sur le fondement d’un vote des citoyens et non pas sous la contrainte des marchés financiers et d’une mise sous tutelle par nos partenaires européens et par le FMI.
L’honneur de la politique, ce n’est pas de s’inventer un monde virtuel, mais de transformer le monde tel qu’il est. L’honneur de la démocratie, ce n’est pas de se construire des ennemis chimériques – de la finance aux immigrés -, mais de combattre ses ennemis avérés avec détermination et sans haine.
(Chronique parue dans Le Point du 29 mars 2012)