La France reste le risque majeur qui pèse sur la zone euro. Les marchés la traitent comme une petite Allemagne, alors qu’elle est une grosse Italie.
Le pari économique de François Hollande est perdu par avance. Venant s’ajouter aux 19 milliards d’euros de hausses d’impôts réalisées par Nicolas Sarkozy et aux 12 milliards votés par la nouvelle majorité au cours de l’été 2012, le choc fiscal de 20 milliards du budget 2013 portera le coup de grâce à une économie qui stagne depuis le printemps 2011. En trois ans, la hausse des prélèvements atteint plus de 50 milliards, soit 3 % du PIB, c’est-à-dire l’équivalent du choc pétrolier des années 70. Les entreprises en supportent la moitié, alors que leur taux de marge s’est effondré à un plus bas historique de 28 % contre 40 % en Allemagne. Dans le même temps, il n’existe aucun effort de réduction des dépenses publiques. Les économies de 10 milliards annoncées pour 2013 compensent tout juste les charges supplémentaires créées en 2012 au titre du retour à la retraite à 60 ans, des embauches de fonctionnaires, de l’augmentation du salaire minimum et des transferts sociaux. Le résultat : une baisse historique du pouvoir d’achat et donc de la consommation ; l’effondrement de l’investissement et de l’innovation. Dès lors, l’économie française est programmée pour tomber en récession en 2013. Avec à la clé une envolée du chômage et l’incapacité à remplir l’objectif de 3 % du PIB de déficit public, car la chute parallèle des recettes fiscales et de l’activité ira plus vite que l’envolée des taux. En 1995, le choc fiscal de 1,2 % du PIB d’Alain Juppé avait cassé la reprise. En 2012, le choc fiscal de 2 % du PIB de François Hollande va transformer la stagnation en dépression.
La France renoue avec les années 30 en faisant le choix suicidaire de la déflation contre la reflation. L’écart qui s’est creusé entre la production et la consommation peut être comblé soit par la hausse de l’activité, soit par la baisse des revenus et de l’emploi. Tous les pays développés qui ont redressé leur croissance et leurs finances publiques, à l’image du Canada, de la Suède ou de l’Allemagne, ont accordé la priorité à la compétitivité et à la baisse des dépenses publiques, dont l’effet récessif est moindre que les hausses d’impôts. La France prend leur contre-pied. Elle porte les recettes et les dépenses publiques à 52 % et 58 % du PIB. Elle laisse à nouveau dériver le déficit de la Sécurité sociale (15 milliards en 2012 pour le régime général). Elle accroît de 10 milliards les prélèvements sur les grandes entreprises, qui constituent son atout décisif dans la mondialisation au moment où elle sort du classement des 20 nations les plus compétitives. Elle provoque un exil massif des centres de décision, des managers, des entrepreneurs et des patrimoines en appliquant une fiscalité confiscatoire sur le capital et le travail. Elle impose les revenus de l’épargne au-delà de 100 % en supprimant les prélèvements forfaitaires sans neutraliser l’inflation. Elle exclut toute réforme de l’État.
L’année 2013 sera décisive pour la France comme pour la zone euro. Grâce à Mario Draghi, la BCE est enfin devenue une banque centrale de plein exercice en décidant d’acheter des titres de dette publique sans limitation de montant et de durée, ce qui donne une assise institutionnelle et monétaire pour une stratégie crédible de sortie de crise. Il reste aux États à faire leur travail. L’Allemagne a acté son engagement en faveur de la solidarité avec la validation du mécanisme européen par la Cour de Karlsruhe. Les citoyens néerlandais se sont détournés du populisme antieuropéen en donnant la majorité aux libéraux et aux travaillistes. Dès lors, la France reste le risque majeur qui pèse sur la zone euro. Les marchés la traitent comme une petite Allemagne, alors qu’elle est une grosse Italie sans les réformes de Mario Monti. Une grosse Italie qui deviendra en 2013 le premier emprunteur mondial en euros, alors qu’elle conjuguera récession, déficit commercial record, chômage de masse, incapacité à tenir l’objectif de déficit de 3 % du PIB, immobilisme structurel. Dans ces conditions, un choc sur la dette française est hautement probable, qui aura pour conséquence de relancer la crise de la zone euro. Voilà pourquoi il serait vital de mettre à profit le sursis miraculeux offert par les marchés pour engager la conversion du modèle français, au lieu de pérenniser la préférence pour la dépense publique et l’impôt, qui est en passe de provoquer l’effondrement de l’appareil de production.
L’agenda 2014 est au redressement économique ce que le Canada Dry est à l’alcool : on dirait du Schröder, mais ce n’est pas du Schröder. Gerhard Schröder s’inscrivit dans l’horizon long d’une décennie avec pour objectif de rétablir la compétitivité de l’Allemagne comme site de production et de redresser ses comptes. François Hollande entretient l’illusion d’une sortie de crise rapide, en se donnant deux ans pour taxer afin de disposer de trois ans pour redistribuer. Son objectif n’est pas de transformer le modèle « tax and spend » de croissance par la dette publique mais de le pérenniser. Gerhard Schröder a baissé les coûts de production, restauré les profits des entreprises, libéralisé le marché du travail, refondé l’État providence bismarckien, coupé les dépenses de l’État fédéral et des Länder. François Hollande prévoit l’inverse. En choisissant la déflation par l’impôt, en écartant tout choc de compétitivité, en tournant le dos aux réformes, l’agenda 2014 fixe un cap non pour le redressement économique mais pour une faillite annoncée qui mettra la France à la merci d’un ajustement dicté par le FMI et nos partenaires européens. Si l’on écarte la magie des mots pour regarder les faits, François Hollande n’a rien de Gerhard Schröder ; il se refuse à être Mario Monti ; il risque fort de finir en Georges Papandréou.
(Chronique parue dans Le Point du 20 septembre 2012)