Le monde fait face aux passions nationalistes, religieuses, et à un ralentissement global de la croissance.
La mondialisation a résisté à la plus grave crise du capitalisme depuis la Grande Dépression des années 1930, mais elle en sort profondément transformée. Le cycle de haute croissance tiré par l’économie d’endettement et le rattrapage des pays émergents laisse la place à un régime de basse pression. À l’inverse, le système international de l’après-guerre froide, fondé sur la stabilité des relations entre les grands pôles sous l’égide des États-Unis, s’efface sous la haute pression des passions nationalistes et religieuses qui remettent en cause les frontières et la sécurité en Asie, en Europe et au Moyen-Orient.
L’universalisation du capitalisme a été indissociable, depuis un quart de siècle, d’un écart croissant entre le dynamisme de la production dans les pays du Sud et son étiolement dans les pays du Nord. Depuis 2013, l’activité se rééquilibre sous l’effet d’un net ralentissement de la croissance des pays émergents, revenue de 6,5 à 4,8 %, et d’un renouveau des pays développés, notamment aux États-Unis et en Europe du Nord (2,3 %).
Pour autant, ce rééquilibrage s’effectue autour d’un régime de basse pression. Faiblesse de la croissance, révisée de 5,3 % à 4,8 % par la Banque mondiale, et du commerce international dont la progression sera limitée à 4,1 %. Et ce en raison du net ralentissement de la Chine lié aux excès du crédit (7 %), du temps des troubles dans lesquels sont entrés nombre de grands émergents (Brésil, Turquie, Russie, Afrique du Sud), du caractère inégal et fragile de la reprise des pays développés, dopée par des politiques monétaires insoutenables à moyen terme. Faiblesse de l’inflation, réduite à 2 % au plan mondial, la quasi-déflation qui sévit dans la zone euro (0,5 %) contrastant avec l’envolée des prix en Turquie (10 %), en Indonésie (8 %), en Russie, en Inde ou au Brésil (6 %), sans parler de l’Argentine et du Venezuela (plus de 25 %). Faiblesse de l’emploi avec 202 millions de chômeurs dans le monde qui se concentrent chez les jeunes, constituant une génération sacrifiée.
L’origine du ralentissement n’est pas liée à une longue stagnation. Les moteurs de l’activité sont bien présents avec la demande des nouvelles classes moyennes du Sud et les gains de productivité générés par l’économie numérique. Elle provient des séquelles laissées par le choc déflationniste de 2008 puis la crise des risques souverains en 2009. Un taux d’endettement public des pays développés qui atteint 117 % du PIB, dépassant le record de 116 % du PIB atteint en 1945, tandis que la dette globale de la Chine a explosé de 150 à 246 % du PIB depuis 2008. Une pression durable à la baisse des prix provoquée par la diminution des bilans bancaires, l’installation d’un chômage structurel, la faiblesse de l’investissement face aux besoins de la révolution technologique. La montée des inégalités avec la polarisation des revenus et des patrimoines, la divergence entre les territoires, l’aggravation des discriminations entre les générations au détriment de la jeunesse.
Parallèlement, les tensions politiques s’emballent. À l’intérieur des nations avec la poussée des mouvements populistes ou séparatistes ainsi que la multiplication des conflits identitaires nationalistes ou religieux. Ils contribuent à fragmenter la mondialisation, freinant les dynamiques d’intégration régionale en Europe ou en Asie et renforçant les tentations protectionnistes. Ils dégénèrent en guerre civile jusqu’à faire imploser certains États.
Le grand écart entre la coexistence de la basse pression économique et les hautes pressions politiques et stratégiques d’une part, l’euphorie des marchés ainsi que la passivité et la désunion des nations libres, d’autre part, est inquiétant. Le déversement des liquidités par les banques centrales alimente les bulles spéculatives sur les marchés immobiliers et boursiers, qui enchaînent les records sans tenir aucun compte de la remontée des risques. Les taux d’intérêts restent artificiellement bas mais sont de plus à la merci d’un accident ou de mouvements de retrait brutaux des investisseurs internationaux. Or, il n’existe plus de marges de manœuvre pour gérer un éventuel nouveau choc.
Le couple infernal du ralentissement économique et du déchaînement des passions nationalistes et religieuses doit être désarmé. Sur le plan économique, ceci suppose un double effort de réformes structurelles pour réduire les déséquilibres à l’intérieur des nations et de renforcement des intégrations continentales et mondiales. Sur le plan politique, il est vital de travailler à l’unité des démocraties et à l’émergence d’institutions globales qui fassent leur place aux nouvelles puissances du Sud. Il ne faut plus laisser le monopole de la force armée aux ennemis de la liberté, ni celui des stratégies de long terme aux régimes autoritaires.
(Chronique parue dans Le Figaro du 16 juin 2014)