En Europe et dans le monde, 2015 va accélérer la redistribution des cartes entre les nations. Pour la France, malade, cette nouvelle année sera critique : réformer ou s’enliser.
L’année 2015 s’ouvre sous le signe de la remontée des risques. L’économie mondiale bénéficie certes de facteurs favorables : la baisse de 40 % du prix du pétrole, qui entraîne un transfert de plus de 3 milliards par jour vers les pays consommateurs ; la solidité de la reprise des États-Unis, où l’activité progresse de 3 % par an, associée à la remontée du dollar ; la faible inflation, qui va de pair avec des taux d’intérêt historiquement bas, même si la politique monétaire se resserre aux États-Unis et aux Royaume-Uni tandis qu’elle s’assouplit en Europe et au Japon.
Pour autant, ces changements ne signifient pas une plus grande stabilité. Leur ampleur et leur rapidité soulignent la volatilité du système mondial, où les chocs se multiplient sans qu’existent une superpuissance ou une régulation internationale pour les réassurer. Risques économiques avec le ralentissement chinois, la débâcle russe, la déflation de l’Europe et du Japon, que les Abenomics ont échoué à ranimer. Risques financiers avec le renouveau des bulles spéculatives sur certains marchés immobiliers et certaines Bourses, ainsi que le regain des tensions autour de la Grèce. Risques monétaires avec le krach du rouble et la tourmente qui affecte les devises émergentes. Risques sociaux avec les manifestations contre l’austérité en Italie, en Espagne ou en Belgique. Risques politiques avec la montée des populismes, des extrémismes et des séparatismes, de Podemos en Espagne à Syriza en Grèce en passant par la revendication d’indépendance de la Catalogne ou la dynamique du Brexit (abréviation de « Britain Exit ») au Royaume-Uni. Risques stratégiques avec la poussée de la Chine dans le Pacifique, le renouveau agressif des empires russe et turc, le chaos du Moyen-Orient et la propagation du terrorisme tout au long d’un arc qui court du Nigeria à l’Afghanistan.
L’année 2015 verra donc s’accélérer la redistribution des cartes entre les continents, les nations mais aussi les entreprises. En témoigne la multiplication des opérations financières, qui souligne l’intensité de la restructuration du capitalisme face aux révolutions des technologies numériques (Google, Uber) ou de l’énergie (scission d’E.ON). La grande divergence s’approfondira entre ceux qui se réforment et s’adaptent d’une part, ceux qui restent immobiles ou se replient d’autre part. Les États-Unis, la Chine ou l’Afrique compteront parmi les gagnants. L’Europe et le Japon sont très vulnérables car cumulant vieillissement, déflation et surendettement. La Russie et le Brésil figureront parmi les grands perdants s’ils n’engagent pas un revirement radical, stratégique pour la Russie, qui est en train de payer son rêve impérial d’une débâcle économique, politique pour le Brésil, qui doit rompre avec l’étatisme, le protectionnisme et la corruption qui le minent.
La France aborde 2015 dans une situation critique. Son déclin économique est devenu absolu, marqué par une production industrielle revenue à son niveau de 1994, un nombre d’emplois marchands ramenés au niveau de 2004 (15,8 millions). Il en résulte un chômage endémique qui frappe 6 millions de personnes et une paupérisation galopante avec une richesse par habitant inférieure de 6 % à la moyenne des pays développés. Les finances publiques sont sorties de tout contrôle du fait de la dérive des dépenses sociales (670 milliards d’euros), qui atteignent 15 % des transferts mondiaux pour 3,7 % de la production. La France est ainsi devenue un risque majeur pour la zone euro, dont elle pourrait relancer la crise. C’est notre pays, par le caractère insoutenable de son modèle économique et social ainsi que par son refus de le réformer, qui bloque la reprise de l’Europe et non pas l’Europe qui provoque la grande stagnation française.
En l’absence de réformes réelles, la France continuera à s’enfoncer en 2015. L’amélioration de l’environnement extérieur qui résultera de la chute du prix du pétrole, de la baisse de l’euro, de la faiblesse des taux d’intérêt et de la remise en route du crédit bancaire ne suffira pas à la faire redémarrer. Les faillites d’entreprise resteront au plus haut (63 000 par an) avec l’effritement de leurs marges, puisque le CICE n’apportera au mieux que 17 milliards, à comparer aux 35 milliards de prélèvements supplémentaires.
L’instabilité législative, réglementaire et fiscale ne se dément pas et s’affirme comme une arme de destruction massive de l’investissement et de l’emploi. Le chômage touchera près de 11 % de la population active. L’exil des talents et des cerveaux, des capitaux et des centres de décisions se poursuit. Le déficit public, du fait de la surestimation des recettes (12 milliards d’euros) et du caractère virtuel des économies (92 500 nouveaux emplois publics ont été créés en 2014, portant l’effectif de la fonction publique à 5,6 millions d’agents), s’établira au-delà de 4,5 % du PIB, portant la dette à 100 % du PIB à la fin de 2015. Loin de se redresser, la France verra l’écart se creuser avec les pays européens qui se sont réformés, l’Allemagne mais aussi l’Espagne de Mariano Rajoy ou l’Italie de Matteo Renzi.
Dans le même temps, la déroute annoncée du Parti socialiste lors des élections départementales sur fond de préparation du congrès du parti vaut mise à mort des tentatives de réformes et annonce une nouvelle dérive gauchisante, dont les premiers signaux apparaissent déjà à la tête de l’État. L’opposition est désormais dotée d’un leader mais reste en quête d’une stratégie et d’un projet crédible de redressement. Seul le Front national apparaît en ordre de bataille et se nourrit de la crise nationale. Dans un pays profondément malade, dont la classe politique, par sa démagogie, encourage les pathologies et refuse tout ce qui pourrait le sauver, l’année 2015 sera hantée par le dilemme historique que soulignait le général de Gaulle : « La France ne fait des réformes qu’à l’occasion des révolutions. »
(Chronique parue dans Le Point du 22 décembre 2014)