Tous les ingrédients sont réunis pour qu’une gigantesque crise frappe le monde. Cette imminence rend encore plus nécessaires les réformes de structure.
En apparence, l’économie mondiale est sortie de la crise. La croissance mondiale s’élève à 3,5 % et se rééquilibre grâce à la reprise du monde développé, où l’activité progresse de 2,4 %, tirée par le moteur américain (3,1 %). Les échanges internationaux continuent à résister. Les marchés financiers communient dans l’euphorie, portés par les politiques d’assouplissement quantitatif et par la faiblesse des taux d’intérêt. Malgré la montée en flèche des tensions géopolitiques, l’idée du risque a disparu, comme si les banques centrales avaient délivré à la finance une assurance illimitée. Or, en quelques jours, trois avertissements ont été lancés qui devraient nous alerter. Jamie Dimon, président de JP Morgan, première banque mondiale, a mis en garde le 8 avril contre la volatilité croissante des marchés ainsi que contre la perte de toute marge de manœuvre des banques du fait des nouvelles régulations qui les privent de capacité de réaction en cas de crise. Jeff Immelt, le successeur de Jack Welch à la tête de General Electric, a mis en vente le 10 avril le pôle financier du groupe – qui gère 500 milliards d’actifs – pour le reconcentrer sur ses activités industrielles dans l’aéronautique, l’énergie, les transports et la santé. Et ce, en raison de la chute de la rentabilité des activités financières, qui ne génèrent plus que 42 % des profits contre 63 % avant la crise, ainsi que du durcissement des exigences en capital. Enfin, Larry Fink, président et fondateur de BlackRock, leader de la gestion d’actifs, a rendu publique le 14 avril une lettre adressée à 700 entreprises pour critiquer le niveau excessif des dividendes et des rachats d’actions et les appeler à privilégier l’investissement et la création de valeur à long terme. De fait, tous les leviers d’une prochaine crise financière sont aujourd’hui armés :
- Le ralentissement de l’économie et des profits. La thèse d’une stagnation séculaire est invalidée par l’existence de solides moteurs pour l’activité que sont les nouvelles classes moyennes du Sud, l’économie de la connaissance ou de l’environnement. Mais il est vrai que la stabilisation et le vieillissement de la population mondiale ainsi que l’arrivée à maturité des grands pays émergents, à l’image de la décélération de la Chine au-dessous de 7 % de progression annuelle, diminueront la croissance potentielle. Par ailleurs, après six années de reprise, les États-Unis enregistrent une première baisse des profits.
- Les séquelles persistantes du choc de 2008. La fragile reprise mondiale est très loin d’avoir effacé les profonds dés équilibres créés par le krach qui a suivi la faillite de Lehman Brothers. La dette globale mondiale a augmenté de 57 000 milliards de dollars, dont 25 000 milliards pour les dettes publiques, ce qui prive les États de toute capacité d’action en cas de nouveau choc. La Grèce va droit au défaut. Les émergents ne sont pas épargnés, la Chine ayant vu sa dette globale s’envoler de 7 000 à 28 000 milliards de dollars depuis 2007. Par ailleurs s’est installé un chômage de masse qui touche 210 millions de personnes et qui pourrait être aggravé par la révolution numérique qui va déstabiliser la moitié des emplois d’ici à 2030.
- Le déversement des liquidités. La remontée des risques est aujourd’hui masquée par le flot des liquidités émises par les banques centrales. La Fed détient près de 4 000 milliards d’actifs. La Banque du Japon a doublé la masse monétaire de l’archipel en deux ans. La BCE s’est alignée depuis le début de 2015 en prévoyant d’acquérir 1 140 milliards d’euros de titres de dettes publiques et privées. Ces programmes portent au total sur 6,5 % du PIB mondial. Mais leur sortie ordonnée est subordonnée au retour d’une croissance stable et durable. Or, leur impact s’est limité pour l’heure à la flambée des marchés financiers.
- Le retour des bulles spéculatives sur les marchés. Les marchés d’actions ont retrouvé des niveaux de valorisation et de levier comparables à ceux de 1929, 2000 et 2007. Dans le même temps, les obligations sont à leur plus haut historique. L’euphorie boursière est tout entière suspendue aux taux d’intérêt négatifs qui sont insoutenables à terme et, partant, au pari que les banques centrales soutiendront de manière permanente, illimitée et inconditionnelle les marchés. Ces principes sont caractéristiques des veilles de krach.
- Les nouveaux déséquilibres de la finance. Au moment où les opérateurs nient le risque, force est de constater que la volatilité est de retour sur plusieurs marchés : les obligations, avec les premières fortes secousses sur les bons du Trésor américain depuis l’automne 2014 ; les devises, avec l’appréciation du dollar de 10 % depuis octobre ou la brutale sortie du franc suisse, le 15 janvier, de son plafond vis-à-vis de l’euro ; les dérivés, dont les transactions cumulées portent sur 700 000 milliards de dollars. Surtout, le carcan réglementaire et fiscal dans lequel ont été enfermées les banques ne provoque pas seulement l’effondrement de leur profitabilité, mais un transfert massif des risques financiers vers le système bancaire clandestin, les compagnies d’assurances et les gestionnaires d’actifs. Un nouveau choc représenterait un péril mortel pour la démocratie La question n’est donc pas de savoir si une nouvelle crise financière aura lieu, mais quand. Le détonateur le plus probable reste le relèvement inéluctable des taux d’intérêt. Les courroies de transmission possibles sont les compagnies d’assurances – dont le quart ne pourront respecter leurs ratios de solvabilité si les taux d’intérêt restent négatifs ou nuls -, le secteur bancaire non officiel et les gestionnaires d’actifs, à l’image des difficultés rencontrées par le géant Pimco. Face à ce nouveau choc, il n’existe plus de réassurance, compte tenu du niveau des dettes publiques et de la dilatation des bilans des banques centrales. Voilà pourquoi il est essentiel de le prévenir.
En renforçant la croissance potentielle grâce aux réformes de structure qui sont le complément indispensable des stratégies monétaires expansionnistes. En harmonisant la régulation financière : assouplissement des dispositions encadrant les banques ; supervision stricte du secteur bancaire clandestin et des gestionnaires d’actifs ; interdiction du trading à haute fréquence. Une déflation mondiale a été conjurée d’extrême justesse en 2008. Chacun doit mesurer qu’un nouveau choc ne porterait pas seulement un coup fatal au capitalisme mondialisé ; il représenterait un péril mortel pour la démocratie, déjà minée par la déstabilisation des classes moyennes et la démagogie des populismes.
(Chronique parue dans Le Point du 29 avril 2015)
Loransea
Bonjour M. Baverez, merci pour ce papier qui m’apporte quelques détails supplémentaires sur l’imminence d’une crise majeure. Ce qui m’étonne sans m’étonner puisque je suis un lecteur de René Girard, c’est l’aveuglement dont nous sommes tous saisis concernant notre situation.
Je remarque que ce sont toujours les mêmes remèdes qui sont donné pour résoudre les problèmes d’une situation créée par ces soit-disant remèdes. La gestion privée de la monnaie a mené à une inflation cachée et non à une déflation. Les institutions bancaires privées sont incapable d’allouer la monnaie au bon endroit d’où une inflation incessante de la quantité de monnaie en circulation mais entièrement captée par la finance et la shadow banking…
Par ailleurs, comment pouvez-vous parler de démocratie quand les peuples n’ont aucun pouvoir sur les décisions politico-économiques qui ont été/seront prises et l’accélération technique qui s’impose à tous sans réflexion critique : on se demande bien pourquoi des hommes comme Ellul ont tenté de nous ouvrir les yeux (aveuglement, disais-je). A peine un quart de la population vote pour un type sous l’influence de médias qui ne sont plus que des pravdas démultipliées et abracadabra c’est la démocratie ???? Mais ceci est un autre sujet. La crise démocratique n’est pas à venir, elle est installée depuis au moins 15 ans.
Le quantitative easing aurait pu être mis à disposition des citoyens au lieu d’être mis à disposition des banques. Ceci aurait posé rapidement la question de l’énergie que les économistes imaginent infinie (jetez un coup d’oeil sur la situation technique et financière de la Shale Oil industry : une catastrophe annoncée).
Je pense que nous sommes dans un moment girardien, crise mimétique des doubles, où l’aveuglement est la règle majeure. Nous sommes déjà en guerre civile en France, un quart contre trois-quarts ! Au royaume des borgnes, les aveugles sont rois ! Que ceux qui ont des oreilles entendent, il y aura des pleurs et des grincements de dents !