Confronté à des désastres en chaîne, le Brésil est paralysé en raison d’une crise politique qui menace la stabilité de ses institutions.
Les Jeux olympiques de Rio devaient consacrer, après la Coupe du monde, l’appartenance du Brésil au petit nombre des États-continents qui dominent la mondialisation. Ils menacent de symboliser sa chute, sur fond d’une récession sans précédent depuis les années 1930 et d’une crise politique équivalente à ce que fut, pour les États-Unis, le scandale du Watergate qui contraignit en 1974 Richard Nixon à la démission.
Le Brésil, qui affichait encore une croissance de 7,5 % en 2010, voit celle-ci régresser de 3,8 % en 2016 comme en 2015. Le PIB par habitant a reculé de 4,8 % en 2015, alors que l’inflation bondissait pour atteindre 10,7 %. Le chômage s’est envolé de 40 %, touchant 9 % de la population active, tandis qu’un million et demi d’emplois ont été supprimés. Dès lors, 6 des 20 millions de personnes qui avaient accédé à la classe moyenne ont rebasculé dans la pauvreté. La hausse des prélèvements obligatoires à 36 % du PIB ne parvient pas à enrayer la montée du déficit public au-delà de 10 % du PIB.
La dette culmine désormais à 65 % du PIB ; son service qui représente 20 % du PIB devient insoutenable. La violence échappe à tout contrôle avec plus de 60 000 assassinats par an. Ultime calamité, le virus Zika touche plus d’1,5 million de Brésiliens, dont 5 000 nourrissons atteints de microcéphalies. Face à ces désastres en chaîne, le Brésil reste paralysé en raison d’une crise politique qui menace la stabilité de ses institutions. La nomination contrariée de l’ancien président Lula à la tête de l’administration civile constituait l’ultime recours de Dilma Rousseff pour tenter d’enrayer la chronique de sa destitution annoncée. La manœuvre visait à relégitimer la présidente, qui bat des records d’impopularité (10 %) et a mis dans la rue plus de 3 millions de manifestants pour exiger sa destitution le 13 mars, tout en assurant à son prédécesseur un répit judiciaire – à défaut d’immunité – grâce au transfert de son dossier au Tribunal suprême fédéral.
Le coup a fait long feu. La destitution de Dilma Rousseff, accusée d’avoir falsifié les comptes de sa campagne présidentielle puis ceux de l’État pour les exercices 2014 et 2015, finira par advenir. Le départ du parti centriste PMDB du gouvernement permet en effet de réunir la majorité des deux tiers des députés requise pour la destitution. Le retour au gouvernement de Lula, soupçonné d’avoir détourné 4 millions d’euros de deniers publics et d’avoir reçu 7,2 millions d’euros de dons et honoraires d’entreprises, a été suspendu pour entrave à la justice à la suite de la publication d’écoutes téléphoniques accablantes. Il se trouve désormais entre les mains de la Cour suprême.
Le juge Sergio Moro reste par ailleurs en charge de l’enquête sur le scandale Petrobras, qui jette un jour cru sur la dérive du Parti des travailleurs et d’une partie des membres du Congrès.
La crise du Brésil est certes amplifiée par le ralentissement de la Chine, devenue son premier partenaire commercial, ou l’effondrement du prix du pétrole dont il est le sixième exportateur mondial. En outre, le miracle brésilien a été avant tout fondé sur les produits agricoles et les matières premières, au détriment de l’industrie et des services. Depuis dix ans, la productivité stagne tandis que les coûts unitaires de production ont doublé. L’investissement a été sacrifié à la consommation, alimentée par des transferts dignes d’un État-providence européen, notamment via le système de retraite qui assure un départ moyen à 54 ans pour une espérance de vie de 75 ans. Les programmes sociaux ont été financés par la mise en coupe réglée de la compagnie pétrolière Petrobras qui, au-delà de ses pertes, affiche une dette de plus de 100 milliards de dollars.
La descente aux enfers du Brésil n’a rien d’inéluctable. Le pays conserve des atouts majeurs : la taille et le dynamisme de sa population de 210 millions d’habitants ; les richesses de son immense territoire ; un excellent positionnement pour répondre à la demande mondiale, favorisé par la dévaluation d’un tiers du real face au dollar ; des réserves de change de 370 milliards de dollars ; une relative protection face aux menaces stratégiques émanant du terrorisme islamiste et du réveil des empires chinois, russe ou turc. Mais la polarisation extrême de l’opinion, la décomposition du système politique et la mise en cause de l’État de droit soumettent la démocratie brésilienne à un test décisif.
Sous le naufrage de Dilma Rousseff et la volonté de Lula de se représenter en 2018 pointe une dérive populiste qui pourrait réduire à néant l’essor du Brésil. Et ce au moment où, en Argentine, Mauricio Macri, rompant avec la démagogie des Kirchner, démontre les vertus de l’alternance et des réformes libérales. La destitution de Dilma Rousseff constitue bien la première étape du redressement du Brésil. Le plus vite sera le mieux.
(Chronique parue dans Le Figaro du 4 avril 2016)