Alors que les déficits publics et l’inflation vont remplacer la stagnation et la déflation, la remontée des taux d’intérêt est à la fois logique et raisonnable.
L’élection de Donald Trump marque une rupture historique. Au plan géopolitique, elle enterre l’Amérique impériale, sapée par les aventures militaires de George W. Bush, et l’Occident, déjà fragilisé par le néo-isolationnisme de Barack Obama. Au plan économique, elle ouvre l’ère de la démondialisation indissociable de la remontée des taux d’intérêt. Elle met ainsi un terme à trente-cinq ans de désinflation et de baisse du prix de l’argent, qui ont fait chuter le taux des emprunts d’État américains à dix ans de 16 % à 1 % depuis 1981.
La régulation keynésienne s’est achevée en 1979 avec la nomination de Paul Volker à la tête de la Fed, qui donna une priorité absolue à la lutte contre l’inflation, et l’élection de Margaret Thatcher, qui lança la libéralisation des économies développées. La politique monétaire prit alors le pas sur la politique budgétaire. L’expansion du marché accéléra formidablement avec l’universalisation du capitalisme après la chute de l’Union soviétique. Puis les chocs des années 2000 – des attentats de 2001 au krach de 2008 entraînèrent une activation sans précédent de la politique monétaire, associant rachats massifs de titres aux taux zéro voire négatifs.
Tout comme la politique budgétaire dans les années 1970, la politique monétaire a aujourd’hui atteint ses limites. Elle a permis d’enrayer le risque d’une grande déflation mondiale après la faillite de Lehman Brothers et l’éclatement de la zone euro ; mais elle a échoué à relancer de manière durable la croissance et l’emploi. Elle a généré de plus en plus d’effets pervers, qu’il s’agisse de la reconstitution de bulles spéculatives sur les marchés financiers et immobiliers ou de la déstabilisation des banques et des assurances.
Tétanisées par la peur d’une réplique du séisme de 2008, prisonnières de leurs achats massifs de titres qui les exposent à de gigantesques pertes, les banques centrales – Fed en tête – ont échoué à piloter l’indispensable remontée des taux d’intérêt. Ce sont les marchés qui ont entrepris de normaliser les politiques monétaires : les taux des emprunts d’État américains ont quasiment doublé en dix jours, atteignant 2,30 % à dix ans et 3 % à trente ans.
L’onde de choc créée par l’élection de Trump cristallise des changements fondamentaux. Son programme qui associe baisses d’impôts et programme d’investissement de plus de 500 milliards de dollars dans les infrastructures devrait stimuler la croissance et l’emploi aux États-Unis. Avec pour contrepartie une hausse du déficit au-delà de 6 % du PIB et une accélération de l’inflation, qui devrait s’élever entre 2 et 3 % en 2018. Dans le reste du monde développé, les stratégies de relance budgétaire progressent, du Japon au Royaume-Uni, qui a abandonné le principe d’un retour à l’équilibre en 2020. Les pays émergents surmontent progressivement leur crise. Les prix du pétrole et des matières premières s’apprécient.
Une nouvelle norme mondiale est en passe de s’imposer où les déficits publics et l’inflation remplacent la stagnation et la déflation. Le tournant protectionniste implique une hausse des salaires à terme. D’où le retournement des taux d’intérêt, qui anticipent la hausse des prix et la forte demande de capitaux de la part des États.
La remontée des taux d’intérêt est à la fois logique et raisonnable. L’économie de marché ne peut se développer avec une rémunération négative du capital qui ruine banques et assurances au plan financier, épargne et investissement au plan économique, classes moyennes au plan politique. L’argent gratuit est synonyme d’argent fou.
Pour autant, les risques liés à la remontée des taux sont considérables. Les États, qui ont accumulé 152 000 milliards de dollars de dette, sont les plus exposés, ainsi que les entreprises ayant émis des titres à haut rendement. Les primes de risque devraient se redresser, faisant à nouveau diverger la zone euro, où l’Italie, qui ne parvient pas à restructurer ses banques, et le Portugal sont menacés. La France constitue une cible particulièrement vulnérable. Elle cumule une dette passée de 1 870 à 2 170 milliards d’euros (98,4 % du PIB) depuis 2012, une croissance qui plafonne à 1,3 % et un chômage de masse qui touche 6,6 millions de personnes. Elle n’emprunte pas dans une monnaie nationale. Et affiche son incapacité à se réformer.
L’environnement de l’économie mondiale va donc se durcir. La hausse conjuguée des taux et des prix de l’énergie et des matières premières pèsera négativement sur la croissance. Et ce, d’autant que la contagion du protectionniste tendra à la ramener de 3 à 1,75 %, tandis que la volatilité augmentera avec les risques politiques liés au populisme et à la disparition de toute forme d’ordre mondial.
(Chronique parue dans Le Point du 21 novembre 2016)