La réforme du système de santé s’impose. Quelques pistes intéressantes.
La santé constitue un bien premier. Elle détermine non seulement la qualité de la vie de la population, mais le développement économique et la cohésion sociale. Or le système de santé français suscite désormais l’inquiétude des citoyens et le désarroi des professionnels qui le font vivre.
Force est de constater que ce système se trouve en faillite. Faillite des soins. De prime abord, les performances sont honorables, avec une espérance de vie de 86 ans pour les femmes et 78,1 ans pour les hommes qui place la France au 5e rang mondial. Mais la mortalité maternelle (10 décès pour 100 000 naissances) est deux fois et demie supérieure à celle de l’Italie et de la Suède, deux fois supérieure à celle de l’Espagne, 67 % supérieure à celle de l’Allemagne. Par ailleurs, les inégalités d’accès aux soins explosent avec la multiplication des déserts médicaux dans les zones rurales et à la périphérie des grandes agglomérations. Faillite sanitaire avec l’indigence de la prévention, qui ne mobilise que 1,9 % des dépenses contre 3 % dans l’Union européenne. Faillite humaine, encore, avec le grand désarroi des professions médicales, qui a provoqué la chute de 25 % du nombre de généralistes en vingt ans. Faillite scientifique, aussi, avec le recul de 26 % des publications médicales mondiales en une décennie ainsi que la délocalisation massive vers l’Amérique des centres de recherche pharmaceutiques. Faillite financière, enfin, avec l’accumulation de 160 milliards d’euros de déficits cumulés de l’assurance-maladie depuis 2000 qui contraste avec les 30 milliards d’excédents de son homologue allemande et un nouveau trou de près de 4,5 milliards pour le régime général en 2017, masqué par 4 milliards d’économies purement virtuelles : en plus d’être calamiteux, les comptes sont désormais faux.
La situation est d’autant plus préoccupante qu’en 2070 la France comptera 76 millions d’habitants, dont 28,7 % auront plus de 65 ans, ce qui ira de pair avec la hausse de la dépendance et des maladies dégénératives. La révolution technologique, au croisement de la gestion des données, de la biologie et de la robotisation, ouvre en outre la voie à une médecine prédictive, automatisée et individualisée. Le système de santé français n’est donc plus soutenable en l’état et doit être refondé. L’Allemagne est parvenue à augmenter la qualité des soins tout en limitant leurs coûts en ciblant un panier de soins très bien remboursés, en instituant un bouclier sanitaire pour plafonner les dépenses à la charge des assurés, en respectant une enveloppe financière par médecin, en mettant en concurrence les opérateurs locaux et en restructurant les hôpitaux publics, dont le nombre a été ramené à 2 080 pour 82 millions d’habitants contre 2 800 pour 66 millions d’habitants en France. De même, la Suède a réorganisé avec succès son appareil de santé autour de 1 000 centres de soins primaires, 65 hôpitaux spécialisés et 6 régions avec un ou deux hôpitaux pour les soins intensifs, ce qui a permis de limiter les dépenses à 9,1 % du PIB tout en améliorant la qualité des soins et en plafonnant la participation des patients. Le secteur de la santé est représentatif de la situation de la France. Le bricolage à la marge n’a d’autre effet que d’amplifier ses maux. Pour réformer le système, il faut le repenser. Autour de cinq priorités :
- La production. La logique de rationnement budgétaire, qui aboutit à priver les Français du bénéfice des nouveaux médicaments de pointe, doit être abandonnée au profit d’une stratégie de renforcement de l’attractivité du territoire pour les soignants, les industriels et les chercheurs. Simultanément, l’offre doit être restructurée autour de parcours de soins.
- La gestion active des risques. La prévention doit être systématisée par la libération des données de santé confisquées par la CNAM, par la multiplication des plateformes de service et par la diffusion d’une culture du risque.
- L’innovation doit être systématiquement promue avec le développement de l’ambulatoire, la multiplication des robots chirurgiens ou la recherche sur les biotechnologies.
- Le financement doit être révisé en profondeur. Le paiement au volume – donc à l’acte – doit être abandonné au profit de la rémunération à la pathologie et à la performance. L’ouverture aux patients de l’information sur la qualité et le coût des soins doit enfin devenir effective.
- La régulation. L’État doit être le garant de la qualité et de l’égal accès aux soins, et non pas le gérant du système. Une nouvelle organisation doit être mise en place autour de trois échelons : un tissu cohérent de généralistes et de spécialistes chargés des soins primaires et des soins à domicile ; la mise en place de réseaux coordonnés sous l’égide de la CNAM et des assureurs ; la restructuration du secteur hospitalier avec pour pendant l’autonomie des établissements et la concurrence par la qualité des soins.
Il n’est pas de protection sociale soutenable quand les dépenses progressent de 2 à 4 % par an pour une croissance qui plafonne à 1,2 %. La réforme de la santé servira donc de baromètre de la capacité à redresser la France.
(Chronique parue dans Le Point du 12 janvier 2017)