La France doit rompre avec ses démons protectionnistes et reconstruire un appareil de production compétitif.
Assumant son populisme, Donald Trump sacrifie la politique des États-Unis aux pulsions de ses électeurs, comme on lance de la viande aux chiens. Et c’est dans le domaine du commerce que la rupture est la plus brutale avec le déploiement d’un arsenal protectionniste sans précédent depuis les années 1930. L’objectif affiché consiste à rendre aux Américains les emplois prétendument volés par la mondialisation. Et ce alors que les États-Unis ont renoué avec le plein-emploi en réduisant le taux de chômage à 4,7 % de la population active, loin des 42 % avancés contre toute raison par la nouvelle Administration.
Donald Trump a mis à bas en quelques semaines le réseau des accords commerciaux qui sous-tendait le soft power des États-Unis. Il s’est retiré du Pacte transatlantique signé en février 2016, ce qui revient à l’annuler, laissant ainsi le champ libre à la Chine pour asseoir sa domination en Asie-Pacifique. Il a remis en question l’Alena, entrée en vigueur en 1994, ouvrant une guerre commerciale et monétaire avec le Mexique. Il a suspendu les négociations sur le grand marché transatlantique qui avait vocation à englober 45 % du PIB mondial et 820 millions de consommateurs. Il laisse enfin planer la menace d’une sortie de l’OMC.
Rien n’illustre mieux les contradictions du protectionnisme que le projet de taxe aux frontières de 20 % sur les importations de la nouvelle Administration. Au-delà du bouleversement de la chaîne de valeur qui pénalisera les grands groupes industriels, cette taxe alimentera l’inflation et pèsera sur la consommation. À terme, elle amplifiera la hausse des taux d’intérêt, affaiblissant l’activité, et entraînera une appréciation du dollar estimée à 18 % qui minera la compétitivité-prix des produits américains.
Même dans le cas des États-Unis, qui bénéficient de leur puissance économique et financière et du monopole du dollar, le protectionnisme se révèle un jeu perdant-perdant. Ce n’est pas le libre-échange mais le protectionnisme qui est naïf en ignorant les inévitables représailles qu’il appelle comme l’amputation de la croissance et du niveau de vie des ménages qu’il implique.
La France et l’Europe doivent se préparer à répondre vigoureusement à toute mesure de restriction des échanges ou des paiements imposée par les États-Unis comme à toute discrimination dont leurs citoyens pourraient être victimes. Pour autant, elles ne doivent pas tomber dans le piège du protectionnisme.
Le rempart dressé contre le protectionnisme a joué un rôle décisif pour enrayer la déflation en 2008 et constitue l’apport le plus positif du G20 à l’économie mondiale. L’Europe doit reprendre à son compte la défense des valeurs de la société ouverte et la construction de cadres et de règles pour définir un ordre mondial auxquels les États-Unis tournent le dos. Et ce d’autant que la zone euro dégage un excédent commercial supérieur à 250 milliards d’euros.
Dans le droit-fil du Ceta, approuvé le 15 février dernier par le Parlement européen, l’Union doit s’affirmer comme le laboratoire des traités de commerce du XXIe siècle traitant des services, de la reconnaissance des appellations contrôlées, de l’ouverture des marchés publics et de la protection des investissements, et ouvrir rapidement des négociations avec l’Asean. Face au Brexit et aux attaques de l’Administration Trump, les réussites majeures que constituent le grand marché et ses 510 millions de consommateurs, la monnaie unique et l’État de droit européens doivent être préservés à tout prix. Complétés par une stratégie globale de sécurité, ils définissent potentiellement l’espace le plus attractif du monde.
La France doit pour sa part rompre avec ses démons protectionnistes. Le protectionnisme et la sortie de l’euro défendus par les populistes provoqueraient une hausse rapide de l’inflation autour de 10 %, des taux d’intérêt et du service de la dette. À terme rapproché, la France ferait défaut et son système financier se trouverait en faillite, détruisant les revenus, le patrimoine et les droits sociaux des Français. Voilà pourquoi la priorité doit aller à la reconstruction d’un appareil de production compétitif, ce qui passe par l’amélioration de la productivité du travail, par l’orientation prioritaire du capital vers les entreprises pour financer l’investissement, par une énergie abondante et bon marché, par le soutien à l’innovation.
En 1929 déjà, Henry Ford avait plaidé à juste titre devant le président Hoover que le protectionnisme était une « stupidité économique ». Il est aussi la marque des dirigeants et de nations faibles. Seul le libre-échange est intelligent ; il exige des institutions fortes car il est indissociable d’une régulation efficace des marchés.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 février 2017)