La décision d’imposer des taxes sur les importations d’acier et d’aluminium acte le tournant protectionniste des États-Unis.
Assumant son populisme, Donald Trump poursuit son escalade en matière de guerre commerciale. Après le retrait du Partenariat transpacifique, après la renégociation de l’Alena, après le blocage de l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce par le veto à la nomination de trois nouveaux juges sur les sept que compte l’institution afin de provoquer son engorgement, la décision d’imposer des taxes de 25 % et 10 % sur les importations d’acier et d’aluminium acte le tournant protectionniste des États-Unis.
La rupture est totale avec la stratégie conduite après 1945 quand les États-Unis, pour éviter le retour des guerres mondiales et de la déflation des années 1930 tout en fédérant l’Occident face à l’Union soviétique, érigèrent le libre-échange en base de la reconstruction et de la stabilité politique des démocraties. À partir des années 1970, la multiplication des clauses de réciprocité et la fin de la convertibilité du dollar nuancèrent cette orientation libre-échangiste. Trump la remet radicalement en question, renouant avec le mercantilisme qui domina la politique commerciale des États-Unis de leur indépendance à la fin des années 1930 afin de protéger leur industrie. Mais les conséquences sont d’une tout autre ampleur dès lors que les États-Unis restent la première économie du monde et le dollar la principale monnaie internationale.
La décision de Trump a déclenché un tir de barrage justifié de l’immense majorité des dirigeants d’entreprise comme des économistes. Elle est totalement contreproductive. Les entreprises de l’acier emploient 140 000 personnes et génèrent un chiffre d’affaires de 38 milliards de dollars alors que les entreprises qui dépendent des importations visées représentent 6,5 millions d’emplois et plus de 1 000 milliards d’activités. Dès lors, les nouveaux tarifs devraient avoir un impact négatif de 0,1 % sur la croissance et supprimer 190 000 emplois, tout en confortant l’inflation qui constitue un impôt sur les plus pauvres. D’un point de vue économique, la première raison du déficit commercial abyssal de 566 milliards de dollars en 2017 réside dans la faiblesse de l’épargne des ménages, limitée à 2,3 % de leur revenu. D’un point de vue politique, Trump divise la classe ouvrière qui constitue le socle de son électorat. D’un point de vue stratégique, il cible en priorité non pas la Chine ou la Russie mais des alliés des États-Unis : Canada, Brésil, Corée du Sud, Mexique, Europe pour l’acier ; Canada et Émirats pour l’aluminium.
Le tir de barrage protectionniste venant après le plan massif de réduction des impôts n’obéit à aucune rationalité économique, alors que l’économie américaine croît de 2,5 % par an et se trouve en situation de plein-emploi avec un taux de chômage ramené à 4 % de la population active. Il a pour objectif de flatter les passions politiques intérieures.
En contribuant à alimenter l’inflation, les mesures protectionnistes devraient accélérer les normalisations de la politique monétaire, donc la hausse des taux d’intérêt indissociable d’une volatilité croissante sur les marchés financiers. Les représailles sont inévitables de la part des partenaires commerciaux des États-Unis, ce qui crée un environnement propice à une guerre commerciale tout en pesant négativement sur la croissance mondiale au moment où elle se redresse. Le protectionnisme implique une dépréciation du dollar qui lance une course à la dévaluation des grandes devises.
Le tournant protectionniste des États-Unis est donc un jeu perdant-perdant, comme l’a démontré la loi Hawley-Smoot qui, votée le 17 juin 1930, a augmenté les droits de douane de 38 à 59 % en moyenne sur plus de 20 000 produits. La mise en place de ce tarif protectionniste a amplifié la récession des États-Unis et contribué à la transformer en déflation mondiale en déclenchant une cascade de mesures protectionnistes et de dévaluations qui provoquèrent la chute des trois quarts des échanges et des paiements internationaux en une décennie.
L’Union européenne n’a d’autre choix que de répondre de manière rapide, proportionnée et raisonnée au conflit commercial lancé par Trump, en ciblant les exportations américaines les plus sensibles et en instituant des mesures de sauvegarde contre la réorientation vers le grand marché des produits asiatiques, russes et brésiliens. De son côté, la BCE veillera à endiguer une remontée brutale de l’euro qui casserait la reprise européenne.
La liberté des échanges de biens, de services et d’informations représente une source majeure de croissance et de progrès social. Elle constitue un bien commun de l’humanité qui doit être protégé, y compris contre la dérive populiste des États-Unis.
(Chronique parue dans Le Figaro du 12 mars 2018)