Les incendies géants qui ont transformé le pays en un continent de feux et de cendres, marquent la fin du miracle australien.
L’Australie est entrée dans l’ère de l’histoire universelle en faisant figure de paradis. Ce pays-continent qui s’étend sur 7 millions de kilomètres carrés n’est peuplé que de 25 millions d’habitants, dont la population augmente à travers une immigration contrôlée et hautement qualifiée. Ses formidables richesses naturelles en font la 12e économie du monde, qui, portée par la mondialisation et par une stratégie efficace de réformes, est en expansion continue depuis 1991, soit le cycle de croissance le plus long pour un pays développé depuis les années 1970.
Enfin et surtout, l’Australie est un État de droit et une démocratie stable. Elle a certes été touchée par le djihadisme et les attentats d’extrême droite, mais elle résiste pour l’heure à l’onde de choc populiste qui ravage les pays développés.
Les incendies géants qui ont transformé l’Australie en un continent de feux, de fumée et de cendres, marquent pourtant la fin du miracle. Leur bilan est effrayant : 10,5 millions d’hectares détruits, soit la surface de la Corée du Sud, une trentaine de morts et plus de 100 000 réfugiés, 2 000 maisons réduites en poussières, 1,25 milliard d’animaux tués entraînant l’extinction de 20 à 100 espèces. Il remet en cause le mode de développement et de vie des Australiens, mais aussi les orientations de la majorité de la classe politique et du gouvernement conservateur de Scott Morrison, enfermés dans le déni du réchauffement climatique.
Le modèle économique de l’Australie est indissociable de l’exploitation de ses ressources minières et énergétiques, notamment le charbon et le gaz naturel liquéfié, dont elle est le premier exportateur mondial, ainsi que le minerai de fer. Le mode de vie des Australiens est l’un des plus intensifs en émissions de carbone et de gaz à effet de serre, en raison notamment d’un système de production électrique centré sur le charbon. La croissance intensive a favorisé le gonflement d’une bulle spéculative immobilière qui va de pair avec un endettement élevé des ménages – représentant plus de 180 % de leur revenu disponible. L’Australie découvre ainsi, après le choc des attentats, qu’elle n’est plus une île dans la mondialisation et qu’elle est vulnérable. Son écosystème est très sensible au réchauffement climatique, car la hausse des températures entraîne l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des feux, provoquant une pollution vingt fois supérieure aux niveaux de sécurité dans Canberra, Sydney ou Melbourne, tout en accélérant la destruction de la faune et de la flore sur terre comme en mer avec la désintégration de la grande barrière de corail. L’économie est vulnérable avec la chute du tourisme et de l’agriculture – dont la production recule de 8 % cette année – ainsi que sa dépendance aux exportations vers la Chine.
L’Australie n’a donc d’autre choix que de réinventer son modèle de croissance intensive, qui est aujourd’hui caduc, mais aussi son positionnement stratégique. Elle dispose de tous les atouts pour le faire, notamment d’un excellent capital humain, de vastes ressources financières, d’une capacité éprouvée des gouvernements à conduire des réformes de structure.
Les enseignements de ces incendies tragiques, qui succèdent aux feux qui ont ravagé la Californie et la Sibérie, l’Amazonie et les Philippines, dépassent la seule Australie. Une nouvelle preuve est apportée de ce que le changement climatique n’est plus un risque mais une réalité. Les démocraties développées ne sont légitimes pour demander aux pays émergents de se convertir à la réduction des émissions que dans la mesure où elles s’appliquent les mêmes contraintes. La transition écologique passe par un « Green New Deal » liant la généralisation d’une taxe carbone à un effort massif d’investissement et d’innovation centré sur la réduction et la captation des émissions de carbone. Les forêts et les océans, du fait de leur rôle dans la régulation de l’écosystème de la planète, doivent être reconnus et protégés juridiquement comme des biens communs de l’humanité. Face à la dérive nationaliste, protectionniste et populiste des États-Unis, l’Australie a toutes les raisons de se rapprocher de l’Europe, notamment pour rejoindre le combat contre le réchauffement climatique.
La préservation de la planète constitue la meilleure cause pour rassembler les hommes, au moment où les nationalismes et les fanatismes défont l’ordre mondial et déchaînent la violence. Elle peut aussi aider à refaire les nations. L’Australie en est exemplaire, qui pourrait entreprendre de réconcilier ses histoires et ses mémoires en réintégrant dans son modèle de développement la culture aborigène qui lie intimement l’homme et la nature, rappelant que la destruction de la seconde implique l’annihilation du premier et que la transmission de la terre aux générations futures est le cœur de toute civilisation.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 janvier 2020)