Une priorité absolue doit être donnée à l’augmentation des capacités de production électrique.
La France affronte une crise énergétique sans précédent depuis les chocs pétroliers des années 1970, qui justifièrent le lancement du programme électronucléaire destiné à assurer la compétitivité de notre industrie, à générer des exportations, à garantir la souveraineté et la sécurité de notre pays. Cinquante ans après, elle est confrontée à l’effondrement de son système électrique et à un risque majeur de black-out.
Au cœur de l’hiver, les pics de consommation pourraient atteindre 76 GW. Ils ne peuvent en l’état être couverts par la production limitée à 50 GW. Ce déséquilibre s’explique par la chute de la production, seuls 36 réacteurs nucléaires étant en service sur 56 au moment où les capacités des installations solaires, éoliennes et hydrauliques sont réduites.
Les conséquences du krach de la filière électrique sont dévastatrices. Pour les ménages, avec la perspective de coupures d’approvisionnement qui désorganisent la vie quotidienne et pénaliseront les plus vulnérables.
Pour les entreprises, avec des pertes de production et de revenus, qui ne laissent à nombre d’entre elles, notamment dans l’industrie, d’autre choix que celui de la faillite ou de la délocalisation. Pour les équilibres macroéconomiques avec une aggravation du déficit des finances publiques et de la balance commerciale. Pour le pays dont la sécurité est mise en péril par notre dépendance aux importations. Pour la planète avec la recarbonation du mix énergétique français du fait des importations depuis l’Allemagne, dont le tiers de l’électricité est produit à partir du charbon et du lignite.
Les raisons de cette débâcle ne sont pas à chercher dans la guerre d’Ukraine, qui en est le révélateur et non la cause.
La responsabilité première revient aux dirigeants politiques de notre pays qui, depuis plusieurs décennies, ont entrepris de détruire méthodiquement la filière d’excellence et le facteur de compétitivité décisif que représentait le secteur nucléaire. La politique de l’énergie a perdu toute cohérence depuis 2012 pour être livrée à l’idéologie de la décroissance et à la démagogie.
Les dysfonctionnements d’EDF sont également patents, qu’il s’agisse de conduite de projets ou de maintenance. L’EPR de Flamanville, dont les travaux ont été lancés en 2007 devait être achevé en 2012 pour un coût de 3 milliards d’euros ; il sera dans le meilleur des cas mis en service fin 2023 pour plus de 20 milliards d’euros. Les travaux de maintenance ont été suspendus durant l’épidémie ce qui n’a pas d’équivalent dans le monde. Mais il est vrai que l’entreprise a d’abord été la victime de l’État. Comme actionnaire, il s’est comporté en prédateur avant de multiplier les injonctions contradictoires. Comme régulateur, il s’est abrité devant le principe de précaution pour fuir ses responsabilités à propos de la réparation des problèmes de corrosion sous contrainte qui aurait pu être étalée dans le temps. Avec pour résultat une entreprise en faillite, dont les dettes culminent à 60 milliards d’euros et les pertes à 5,3 milliards pour le troisième trimestre 2022 alors qu’elle devrait réaliser des superprofits.
Le troisième échec est celui du marché européen de l’électricité qui a été conçu pour faire baisser les prix pour le consommateur en faisant l’impasse sur la production et l’impératif de sécurité.
D’où l’indexation des prix sur le gaz russe, qui a fait de l’Union l’otage énergétique de Vladimir Poutine.
La crise énergétique est durable. Elle peut aussi représenter une chance en obligeant à repenser et refondre la politique française et européenne de l’énergie autour de la sécurité et de la décarbonation de l’économie. Une priorité absolue doit être donnée à l’augmentation des capacités de production électrique. Ceci implique des actions d’urgence pour remettre en route les centrales nucléaires en aménageant les programmes de maintenance et pour libérer les projets bloqués par les contraintes bureaucratiques.
Les économies d’énergie doivent être ciblées sur les ménages et préserver les entreprises. L’État a vocation à se recentrer sur la gestion des crises tout en se gardant d’interférer dans la production. La réforme du marché européen de l’électricité est impérative et ne peut continuer à être différée.
Ces changements, qui supposent la mobilisation des entreprises et des citoyens, ont pour préalable la reconnaissance par les responsables politiques des erreurs qui ont conduit une génération irresponsable à détruire un des atouts majeurs de l’économie française construit grâce à la vision et la détermination de leurs prédécesseurs. Le cardinal de Retz rappelait à juste titre que « Quand ceux qui commandent perdent la honte, ceux qui obéissent perdent le respect. »
(Chronique parue dans Le Figaro du 12 décembre 2022)