Alors que Paris se trouve en état de siège, quadrillée par 45 000 policiers et gendarmes ainsi que 10 000 militaires déployés pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, une tragédie se joue à l’autre bout du monde, où la Nouvelle-Calédonie s’enfonce dans le chaos, la misère et la violence dans l’indifférence générale.
Depuis le début des émeutes, le 13 mai, l’ordre public n’a jamais été rétabli. Pire, le transfert et l’incarcération en métropole de sept des responsables de la CCAT ont provoqué un nouvel embrasement. Il a été marqué par un mort supplémentaire, à la suite d’échanges de coups de feu entre des militants indépendantistes et le GIGN, suivi de l’incendie des églises – dont celle de Saint-Louis, surnommée le « petit Vatican » en raison de son rayonnement spirituel dans le Pacifique. Les barrages se reconstituent en permanence et bloquent les principales routes, dont celle vitale de l’aéroport de la Tontouta, qui doivent être réouvertes, non sans risques, chaque matin. Les incendies se poursuivent alors même que la plupart des infrastructures publiques et privées ont été dévastées.
La différence majeure avec la crise des années 1980 provient de l’effondrement complet de l’économie en raison de la mise à sac du Grand Nouméa. Le coût des destructions est estimé à 2,2 milliards d’euros, hors pertes d’exploitation des entreprises, alors que le PIB de l’archipel, peuplé de 270 000 habitants, s’élève à 8 milliards d’euros. Avec 650 entreprises sinistrées, plus du tiers du capital productif a disparu. Sur les 68 000 salariés du territoire, 24 000 sont au chômage. Les dommages sont donc équivalents à ceux provoqués par une guerre de haute intensité.
L’impasse est aujourd’hui complète. Impasse économique puisque s’ajoutent à la crise structurelle de l’industrie du nickel l’arrêt durable du tourisme, deuxième activité de l’archipel qui génère 5 000 emplois et qui se trouve rayée de la carte par les agences et les compagnies maritimes ou aériennes, ainsi que la destruction des infrastructures et des entreprises, sans perspective de reconstruction compte tenu de l’insécurité.
Impasse financière, car le gouvernement local, en raison des pertes de recettes fiscales et douanières évaluées à 380 millions d’euros, se trouvera en cessation des paiements fin août, quand il aura consommé l’intégralité des aides de l’État (250 millions d’euros, dont 100 millions de prêts), donc dans l’incapacité de payer les fonctionnaires, les prestations sociales et les allocations de chômage. Impasse sociale avec la paupérisation massive de la population et les ruptures d’approvisionnement qui pourraient conduire à des émeutes de la faim et déchaîner les violences. Impasse politique puisqu’il n’existe plus d’interlocuteur à Paris depuis la démission du gouvernement de Gabriel Attal et que la mission de dialogue installée par Emmanuel Macron, le 24 mai, est mort-née.
En bref, il ne peut y avoir de reconstruction et de relance de l’économie sans sécurité ; il ne peut y avoir de sécurité sans accord politique; il ne peut y avoir d’accord politique sans un gouvernement légitime et stable à Paris.
Pendant ce temps, l’effondrement de l’économie et l’installation d’une violence endémique entraînent un puissant mouvement d’exil de la population européenne. Le rééquilibrage du corps électoral au profit des Kanaks ne s’effectue ainsi pas par la négociation et par la loi mais par la peur et par la force, ouvrant de fait la voie à l’indépendance. Elle marquerait la fin de la présence française dans le Pacifique ainsi que la mainmise de la Chine sur un territoire hautement stratégique.
La débâcle de la Nouvelle-Calédonie est exemplaire de la faillite d’Emmanuel Macron dans la conduite des affaires régaliennes, alors même qu’elles sont plus que jamais décisives pour tracer une issue à la crise existentielle que traverse notre pays. Le même écroulement de l’ordre public peut être constaté à Mayotte, qui a basculé dans l’anarchie et se trouve livrée à la loi des gangs sous la pression de l’immigration clandestine, comme en Corse, où le projet d’autonomie masque la dérive mafieuse de l’île.
La contagion de la violence
Ainsi, l’État, au lieu de garantir la cohésion de la nation, favorise par sa faiblesse la contagion de la violence qui mine la démocratie et l’archipélisation du territoire qui menace la République. Tout ceci alimente une dynamique de quasi-guerre civile, dont Gérard Collomb, lors de sa démission du gouvernement, avait à juste titre pointé la réalité et les risques.
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Chronique parue dans Le Point du 5 août 2024