Le président américain et le pape fraîchement élu ont des conceptions de la paix aux antipodes : pour Donald Trump, la paix se construit par les intérêts et les affaires conclues entre les dirigeants, et pour Léon XIV, par les valeurs et la réconciliation.
Face à la sortie de tout contrôle de la violence et aux risques qui en découlent pour l’humanité, deux dirigeants d’envergure planétaire ont placé la paix au cœur de leur action : Donald Trump et Léon XIV. Tous deux, de nationalité américaine, se dressent contre la guerre et ont proposé leur médiation, notamment entre la Russie et l’Ukraine ou entre Israël, les Palestiniens et les pays arabes. Tous deux soulignent les risques d’une guerre totale, à laquelle les technologies numériques donneraient une dimension apocalyptique. Mais tout oppose le président des États-Unis et le pape. Leurs conceptions et leurs approches de la paix s’avèrent aux antipodes : paix par les intérêts et les affaires conclues entre les dirigeants pour Donald Trump ; paix par les valeurs et la réconciliation entre les peuples pour Léon XIV.
À l’âge des empires et des autocrates, Donald Trump fait figure de pompier pyromane. Sa vision de la paix mêle impérialisme et matérialisme. D’un côté, il s’aligne sur les empires, qui revendiquent un ordre post-occidental fondé sur la coexistence de tyrannies disposant de zones d’influence maintenues par la force et l’oppression.
De l’autre, il revendique une approche réaliste et transactionnelle, fondée sur les seuls intérêts économiques et l’appropriation des ressources, qui récuse tout attachement à des valeurs telles que le respect de la souveraineté et des frontières des États, la défense de la liberté politique ou la protection des droits de l’homme. Dans la lignée du choc des civilisations théorisé par Samuel Huntington, il entend adosser la puissance impériale des États-Unis, élargie du Panama au pôle Nord, non plus à la démocratie mais, fort du poids prépondérant des États-Unis dans le financement de l’Église, à une déclinaison identitaire du catholicisme, à l’image de la Chine de Xi avec le maoïsme, de la Russie de Poutine avec l’orthodoxie, de l’Inde de Modi avec l’hindouisme, de la Turquie d’Erdogan avec l’islam sunnite.
Le jour même de son élection, le 8 mai 2025, Léon XIV a placé son pontificat sous le signe d’un appel à la paix, « une paix désarmée et une paix désarmante, humble et persévérante », ajoutant que « le mal ne l’emportera pas ».
Pour lui, la paix n’est pas simplement l’absence de guerre mais un état stable de dialogue et de coopération entre les nations. La foi n’est pas un instrument de puissance ou une revendication identitaire mais un pont lancé vers les autres. Dans la continuité de Paul VI et Jean-Paul II, il conçoit le système international comme une famille de nations, toutes différentes mais appartenant à une même humanité. Il marque en revanche une double rupture avec le pape François. Sur le fond, Léon XIV prend ses distances avec le relativisme de son prédécesseur, qui mettait sur le même pied agresseurs et agressés et condamnait la guerre, même juste, et appelle à « une paix authentique, juste et durable pour l’Ukraine ». Dans la forme, il entend déployer une diplomatie cohérente visant à reconstruire un ordre international stable, loin des initiatives improvisées et de l’orientation hostile à l’Occident de François.
Il serait inconséquent de prétendre porter un jugement sur l’action de Donald Trump et de Léon XIV au service de la paix, quelques semaines ou quelques jours après leur prise de fonctions. Pointe cependant un paradoxe : la morale de la responsabilité comme celle de la conviction se trouvent réunies chez Léon XIV, quand la diplomatie de Donald Trump échoue à obtenir des résultats par son incohérence, sa versatilité et son amateurisme.
Alors qu’il affirme le primat de l’efficacité dans l’action sur les principes et qu’il vante sa capacité à faire la décision, Donald Trump n’a obtenu aucune avancée dans les conflits majeurs. Son Administration a certes joué un rôle utile dans la désescalade entre l’Inde et le Pakistan, le cessez-le-feu avec les houthistes ou la médiation entre la République démocratique du Congo et le Rwanda. Mais les négociations ouvertes avec l’Iran pour renouer avec l’accord de 2015 qu’il avait dénoncé en 2018 patinent. Surtout, la paix n’a aucunement progressé en Ukraine ou au Proche-Orient. Pis, Donald Trump, loin de détacher Moscou de Pékin, a légitimé les revendications et la posture dilatoire de Vladimir Poutine, lui laissant le champ libre non seulement pour intensifier la guerre en Ukraine mais pour planifier de nouvelles agressions en Europe en profitant du retrait des États-Unis et de la fragilisation de l’Otan. Au Moyen-Orient, il a donné carte blanche à Benyamin Netanyahou, appuyant le projet d’occupation militaire et le blocus humanitaire injustifiable de Gaza, qui transforme Israël en État paria.
La diplomatie de Donald Trump est vouée au désastre car elle repose sur une vision et une méthode erronées. La stratégie du chaos et la déstabilisation systématique des institutions, des échanges et des paiements mondiaux ne créent pas les conditions de paix mais ouvre de vastes espaces à la violence. La maximisation des richesses et de la sécurité dans un seul pays au détriment de toute forme de bien commun renforce les risques de confrontation. L’apaisement vis-à-vis de la Russie, dont le régime est fondé sur la guerre permanente à l’intérieur comme à l’extérieur, et la validation des projets d’expansion territoriale et de conquêtes militaires des empires alimentent la course à la guerre totale. Le démantèlement des alliances stratégiques, les revirements incessants et le caractère velléitaire de la diplomatie de Donald Trump font le jeu et la fortune des tyrannies du XXIe siècle.
Désarmer la dynamique de peur
Le pape Léon XIV, s’il ne dispose pas des moyens de la puissance, dessine des principes autrement pertinents pour désarmer la dynamique de peur, de haine et de violence qui parcourt notre planète, et pour conforter les fragiles espoirs de détente que l’on observe en Inde et au Pakistan, au Moyen-Orient ou en Afrique.
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Chronique parue dans Le Figaro du 25 mai 2025