Le meurtre d’une surveillante de collège, poignardée par un élève, montre l’ampleur de l’effondrement de l’ordre public. En France, il n’existe plus aucun individu, aucune institution, aucune partie du territoire qui soit aujourd’hui en sécurité.
Le meurtre de Mélanie G., poignardée par un élève à l’entrée du collège Françoise-Dolto à Nogent, n’est pas un fait divers mais un fait de société. Il s’inscrit dans la multiplication des assassinats commis par des mineurs, dans la vague des attaques au couteau, dans la continuité des 100.000 agressions et menaces recensées chaque année contre des professeurs. Depuis le tournant de l’affaire du voile de Creil, qui acta la démission de l’État et de la justice, l’école n’est plus un sanctuaire mais un amplificateur de la sortie de tout contrôle de la violence dans notre pays.
La France connaît un effondrement de l’ordre public, au point qu’il n’existe plus aucun individu, aucune institution, aucune partie du territoire qui soit aujourd’hui en sécurité. Trois homicides sont commis chaque jour, avec un doublement du nombre de mineurs mis en cause depuis 2017. Le narcotrafic explose et envahit tout le territoire, réalisant un chiffre d’affaires de 4 à 6 milliards d’euros, étendant ses activités à la prostitution, contrôlant des pans entiers des métropoles, créant une dynamique de mexicanisation avec la corruption croissante de douaniers, de gardiens de prison, de policiers, de magistrats.
La DZ Mafia a ainsi lancé une attaque en règle contre les prisons et les personnels pénitentiaires dans l’ensemble de l’Hexagone. Les enlèvements deviennent une industrie, comme on l’a vu avec les dirigeants du secteur des cryptomonnaies et leurs familles. Le terrorisme islamiste croise la délinquance et mobilise de plus en plus les mineurs. Il est accompagné par le basculement de l’ultragauche dans une violence radicale, marquée par des attentats contre les infrastructures, comme le réseau TGV à la veille des Jeux olympiques, les tours de télécommunications ou les chantiers autoroutiers.
Des émeutes meurtrières de plus en plus nombreuses
Dans le même temps, notre pays est régulièrement parcouru par des émeutes meurtrières et dévastatrices. Depuis 2017 se sont succédé le mouvement des « gilets jaunes », les manifestations contre la réforme des retraites, les pillages insurrectionnels qui suivirent la mort de Nahel avec pour bilan deux victimes, plus de 1000 blessés et 1,2 milliard d’euros de dommages, la quasi-guerre civile de Nouvelle-Calédonie qui fit 14 morts, 975 blessés et des destructions estimées à 2,5 milliards sur un PIB de 8 milliards, enfin le saccage du centre de Paris, mais aussi de Nantes, de Grenoble, de Dax ou de Coutances le soir de la victoire du PSG en Ligue des champions.
La violence en France ne connaît pas seulement une brutale remontée. Son intensité et sa nature changent. Elle est désinhibée et devient une fin en soi, s’affichant ouvertement sur les réseaux sociaux.
La France est ainsi devenue une vaste zone de non-droit, où la force prime la loi et où l’État est aussi impitoyable avec les citoyens paisibles, accablés de normes et de taxes tout en étant abandonnés à eux-mêmes que passif et complaisant face aux auteurs de violence. D’où une spirale infernale qui voit la violence engendrer la violence, sous l’effet de la contagion de la peur et de la haine qui dissolvent la société et la communauté des citoyens.
La faillite opérationnelle d’un État délégitimé
L’ensauvagement de notre pays prend certes place dans celui du monde. La France fait cependant exception par l’effondrement de l’ordre public, par la désintégration de ses institutions, par la démission de ses dirigeants et de ses élites qui continuent à communier dans le déni de la réalité, avec pour symbole Emmanuel Macron assimilant la dénonciation de la violence à du « brainwashing ». Dans notre pays, l’ascension de la violence est certes accélérée par la paupérisation de pans entiers de la population et du territoire avec le blocage de la croissance et la crise de la dette publique. Elle doit naturellement à l’atomisation et à l’anomie des individus favorisées par les réseaux qualifiés à tort de sociaux. Mais la cause profonde est politique, liée à la faillite opérationnelle d’un État délégitimé par son obésité et son impuissance, à la faillite civique de l’État-providence qui a détruit la citoyenneté, à la faillite morale d’une nation qui ne sait plus ni qui elle est, ni où elle va, ni ce qu’elle veut.
La disparition de l’ordre et de l’autorité publiques est d’autant plus paradoxale que la France a joué un rôle central dans la construction des institutions et des règles qui permirent d’endiguer la violence pour éviter la guerre de tous contre tous. Dès le XIVe siècle fut instaurée une juridiction des gens de guerre. Au XVIe apparurent les auxiliaires de justice armés. En 1667 fut créée la lieutenance parisienne pour assurer la sécurité de la capitale, puis en 1720 la maréchaussée militarisée compétente dans tout le royaume. Notre pays a ainsi inventé l’État moderne et la monarchie absolue pour sortir des passions et des violences extrêmes des guerres de Religion. Avec les Lumières, il a érigé cet État en pivot, garant de la paix civile au sein de la société et responsable de la souveraineté dans la jungle internationale. Puis la démocratie libérale a érigé des institutions, fixé des règles et formé les mœurs des citoyens afin de brider les pulsions et de maîtriser la tentation de la violence.
Ce travail de civilisation a été profondément ébranlé par les guerres mondiales du XXe siècle, avant d’être patiemment repris à partir de 1945. Il est aujourd’hui mis à bas avec une irresponsabilité confondante.
Une réponse qui ne peut être seulement sécuritaire
La survie de la liberté en France passe tout autant par la lutte contre la violence intérieure que par le réarmement face à la menace des empires autoritaires. En évitant deux écueils. Le premier consiste à opposer la violence à la violence en alimentant une logique de guerre civile, ce qui revient à amplifier les maux que l’on prétend combattre, ainsi que le fait Donald Trump. Le second est celui de l’idolâtrie et de la fossilisation de l’État de droit, qui, comme toute institution, et sauf à trahir sa raison d’être qui consiste à assurer la paix civile, doit s’adapter aux mutations de la violence, à l’évolution des technologies, des sociétés et du système international.
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Chronique parue dans Le Figaro du 16 juin 2025