La France est devenue un rentier nihiliste, dilapidant l’héritage des générations passées et sacrifiant systématiquement les enjeux d’avenir à des objectifs de très court terme.
Le 24 juin, l’Assemblée nationale, dans un Hémicycle déserté, a rejeté la proposition de loi du sénateur Daniel Grémillet portant sur les grandes orientations du système énergétique français dans la perspective de la décarbonation de l’économie à l’horizon 2050. Elle avait été amendée pour intégrer un moratoire sur le développement des énergies éoliennes et solaires ainsi que le redémarrage de la centrale de Fessenheim.
Ce nouvel échec d’un texte dénaturé de son objet illustre la crise aiguë de nos institutions et le blocage de la décision publique depuis la dissolution insensée de juin 2024. Il acte également la faillite de la politique énergétique qui constituait l’un des atouts majeurs de notre pays. Et ce alors qu’elle conditionne la réindustrialisation, la révolution numérique, la transition écologique et la souveraineté de la nation, ainsi que l’ont montré les guerres d’Ukraine et du Moyen-Orient. Le moment est d’autant plus critique que l’Union européenne programme l’arrêt complet des livraisons de gaz russe en 2027 – y compris le GNL, dont la France est le premier importateur.
Loin de clarifier la situation, le gouvernement achève de la rendre absurde et insoutenable. Dans la forme, il entend contourner la compétence du Parlement en adoptant par décret durant l’été la programmation pluriannuelle de l’énergie, alors que ce texte est censé être la mesure d’application d’une loi qui n’a jamais été votée. Pour l’heure reste en vigueur la loi suicidaire du 21 avril 2020 qui organise la décroissance de la consommation et de la production et planifie la fermeture de 14 réacteurs nucléaires.
Un pari irréaliste, ruineux et dangereux
Sur le fond, le gouvernement prévoit de réduire la part des fossiles de 60 % à 30 % d’ici à 2035. Avec une étape à 42 % en 2030, qui repose sur la production a minima de 360 TWh d’électricité nucléaire et de 200 TWh de renouvelables grâce à la multiplication par 6 du solaire, par 2 de l’éolien terrestre et par 12 de l’éolien en mer. Ce pari est irréaliste, ruineux et dangereux. Il demande 500 milliards d’euros d’investissements dans les énergies renouvelables, indissociables d’un nouveau doublement des factures d’électricité mises à la charge de Français paupérisés. Il repose sur le remplacement d’une énergie décarbonée, disponible et pilotable par des énergies intermittentes et non pilotables, tout en reportant sur le parc nucléaire la charge de la modulation au détriment de la sécurité des centrales. Il exige 200 milliards d’euros de travaux pour le renforcement des réseaux, sans pour autant parvenir à exclure les risques de black-out, mis en évidence par l’effondrement du réseau allemand en 2006 qui priva d’électricité 15 millions d’Européens, puis la panne géante du système espagnol, le 28 avril dernier, qui a plongé dans le noir la péninsule Ibérique à la suite de fortes fluctuations de la production solaire.
L’énergie est un bien premier pour les ménages comme pour les entreprises, pour les services publics comme pour la continuité de la vie nationale. L’électricité, quant à elle, est une source d’énergie singulière puisqu’elle ne peut être stockée et que le réseau doit être équilibré à tout moment. Dès lors, le premier impératif qui s’applique à un système électrique doit être la sécurité.
Une génération d’hommes d’État et de capitaines d’industrie visionnaires a ainsi construit en France dans les années 1970, une stratégie énergétique conciliant abondance de la production, compétitivité, prix raisonnables et indépendance. Cet atout majeur a été détruit en deux décennies par l’alliance des démagogues et des idéologues. Ils se sont alignés sur l’Union européenne qui, sous l’influence de l’Allemagne, a mis en place une organisation absurde cumulant des risques majeurs de pénurie et de black-out, des prix exorbitants qui pèsent sur le pouvoir d’achat et accélèrent la désindustrialisation, le frein à la décarbonation (notamment à travers le recours au lignite), la dépendance hier au gaz russe, aujourd’hui au GNL américain et au monopole que la Chine, s’est forgé à grand renfort de dumping dans les équipements solaires et éoliens.
La France se trouve dès lors marginalisée, alors que l’industrie nucléaire se trouve en pleine renaissance, portée par la Chine, par la Russie et par la Corée du Sud. Sur la soixantaine de centrales en construction dans 15 pays, elle n’est impliquée que dans les projets britanniques. Le contraste est total avec les États-Unis qui assurent un prix de l’énergie 5 fois inférieur à celui de l’Europe grâce à l’essor des hydrocarbures non conventionnels mais aussi au renouveau nucléaire, dont la production stable, pilotable, décarbonée et à coût maîtrisé constitue la réponse idéale aux gigantesques besoins du secteur numérique, notamment des data centers.
Sécurité, souveraineté, compétitivité et décarbonation
L’énergie s’affirme ainsi comme un cas d’école de la faillite de notre État. Il n’est plus un stratège mais un rentier nihiliste, dilapidant l’héritage des générations passées et sacrifiant systématiquement les enjeux d’avenir à des objectifs de très court terme. Il a cumulé des prévisions délibérément faussées, planifiant la décroissance de la consommation et de la production, le démantèlement de la filière nucléaire sans se préoccuper de construire un secteur viable des énergies renouvelables, l’absence d’anticipation de la prolongation des centrales existantes comme de leur renouvellement, la dilapidation des fonds publics dans une économie subventionnée ayant pour pendant l’explosion des taxes pour les consommateurs et les entreprises, le refus de l’innovation au nom du principe de précaution, le renoncement à la souveraineté énergétique.
[…]
Lire la suite de l’éditorial sur lefigaro.fr
Chronique parue dans Le Figaro du 29 juin 2025