L’Afrique, symbole du Sud, disparaît de l’horizon de l’Occident qui est accaparé par sa crise politique, intellectuelle et morale, ainsi que par ses déchirements.
La quatrième conférence des Nations unies sur le financement du développement, qui s’est tenue à Séville du 30 juin au 3 juillet, a souligné la crise aiguë de l’aide aux pays du Sud. D’un côté, Antonio Gutteres a martelé qu’il fallait augmenter de 4 000 milliards de dollars par an leur budget pour répondre aux objectifs de développement durable pour 2030, tandis que le compromis final a souligné la nécessité d’une meilleure circulation des ressources, d’un traitement des dettes publiques dont le service mobilise 1 400 milliards de dollars par an et d’une refonte de l’architecture financière mondiale.
De l’autre, les États-Unis de Donald Trump, qui ont refusé de participer au sommet, ont fermé l’USAID le 1er juillet, avec des conséquences sanitaires et humanitaires tragiques qui pourraient entraîner la mort de 14 millions de personnes d’ici à 2030. Et ce, tout en poursuivant une guerre économique totale qui désintègre les échanges et les paiements mondiaux, percutant de plein fouet les économies et les finances fragiles des pays émergents. Simultanément, la plupart des pays développés – à commencer par la France (- 34 %), l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou la Suède – réduisent drastiquement leur aide au développement pour financer la réindustrialisation, la transition climatique et le réarmement dans un contexte de tensions croissantes sur les dettes souveraines.
Le théâtre d’ombres de Séville apparaît emblématique de l’éviction des risques planétaires du XXIe siècle par la dynamique guerrière déclenchée par l’invasion de l’Ukraine en Europe et les massacres du 7 Octobre au Moyen-Orient, ainsi que de la fin du multilatéralisme provoqué par le tournant protectionniste et unilatéral des États-Unis. Il témoigne de la marginalisation de l’ONU mais aussi du fossé qui se creuse entre l’Occident et le Sud.
L’Afrique, qui était destinataire de 40 % des versements de l’USAID en 2024, est la première victime du désintérêt pour le développement. Son décollage, amorcé au début du siècle avec plus d’une décennie de croissance moyenne supérieure à 5 % est en passe d’avorter. La spirale vertueuse entre diversification économique, constitution d’une classe moyenne, progrès de l’État de droit et stabilité politique s’enraie. La trappe de la grande pauvreté se referme. Sur 1,3 milliard d’Africains, 670 millions sont touchés par l’insécurité et plus de 100 millions par la famine. Longtemps résiliente, la croissance retombe autour de 3 % par an, à l’image des deux géants, le Nigeria et l’Afrique du Sud, où l’activité plafonne autour de 3,2 % et 1,4 % par an.
Le continent rattrapé par la violence politique
L’Afrique se trouve simultanément rattrapée par la violence politique. Elle reste le continent des conflits les plus meurtriers, du Congo à la Libye en passant par le Soudan ou l’Éthiopie. Elle est soumise à la pression des djihadistes qui assoient leur contrôle du Sahel depuis le départ de l’armée française – à l’image du Mali où le JNIM resserre son étau autour de Bamako – et progressent vers le sud jusqu’au Mozambique, et à l’ouest jusqu’à Bénin. Plus de 60 % des 70 tentatives de coups d’État enregistrées depuis 2000 ont par ailleurs pris place sur le continent. Le renouveau des autocrates et des juntes mais aussi la démagogie des populistes comme au Sénégal cassent la dynamique du développement, annihilent les instruments d’intégration régionale et tarissent les investissements internationaux, alors que les besoins de financement pour l’éducation, la santé, l’énergie, les infrastructures et la lutte contre le réchauffement climatique sont gigantesques.
L’Afrique porte assurément une part de responsabilité dans sa régression vers l’autoritarisme, le sous-développement, l’effondrement des États, la montée aux extrêmes de la violence. Mais elle a aussi été largement abandonnée face au djihadisme, à la pandémie de Covid, à la crise alimentaire et énergétique déclenchée par la guerre d’Ukraine, au réchauffement climatique, avant d’être percutée de plein fouet par le tournant protectionniste et impérialiste des États-Unis, voir leur réhabilitation du racisme.
L’Afrique, symbole du Sud, disparaît ainsi de l’horizon de l’Occident, accaparé par sa crise politique, intellectuelle et morale, ainsi que par ses déchirements. Elle se réduit à l’endiguement des flux de migrants pour l’Europe, au contrôle de ses minerais et de ses terres rares pour les États-Unis – véritable objet de l’accord de paix bancal du 28 juin qu’ils ont parrainé entre la RDC et le Rwanda mais non signé par le M23 qui a envahi et occupe le Kivu. Cette occultation de l’Afrique par l’Occident est pourtant loin d’être partagée par le reste du monde. En dépit de ses maux, le continent conserve en effet de formidables atouts : le deuxième plus fort potentiel de croissance après l’Asie avec une vingtaine de pays affichant une progression de l’activité supérieure à 5 % par an ; la jeunesse et les réserves de travail d’un monde vieillissant avec un âge médian de 19 ans ; le tiers des réserves minérales du monde, de formidables ressources d’énergie et d’immenses espaces.
Les empires autoritaires et les géants du Sud ne s’y trompent pas et comblent les vides laissés par l’Europe et les États-Unis. La Chine ne cesse de conforter son statut de premier partenaire et bailleur de fonds du continent. La Russie se spécialise dans la sécurité rapprochée des putschistes et des dictateurs à travers le sinistre Africa Corps, héritier du groupe Wagner. L’Inde investit puissamment en Afrique australe et en Afrique de l’Est. Le Brésil multiplie les accords commerciaux et consolide sa présence à l’Ouest. La Turquie monopolise les grands projets de construction tout en ayant tissé, avec Turkish Airlines, le premier réseau de transport aérien du continent. Les pays du Golfe, par le biais de leurs fonds souverains, multiplient les opérations dans l’agriculture pour assurer leur sécurité alimentaire, dans les hydrocarbures, les énergies renouvelables dont les capacités ont doublé en dix ans, les infrastructures.
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Chronique parue dans Le Figaro du 6 juillet 2025