Depuis son élection à la présidence de la République, la France s’effondre sur les plans économique, financier, social, éducatif, sécuritaire, explique Nicolas Baverez.
Sébastien Lecornu a présenté, le 6 octobre à Emmanuel Macron, la démission du gouvernement nommé la veille.
Il a ainsi censuré son propre gouvernement, tout comme François Bayrou avait dissous le sien en annonçant, le 25 août, qu’il demanderait un vote de confiance à l’Assemblée.
La France, avec a minima quatre Premiers ministres en 2025, connaît une instabilité politique pire que celle de la IVe République, dont les gouvernements duraient en moyenne sept mois.
Elle montre à ses citoyens, comme au reste du monde, le spectacle délétère de ministres démissionnaires transmettant leurs pouvoirs fictifs à de nouveaux ministres démissionnaires, sous lequel pointe la disparition du pouvoir exécutif depuis la dissolution de juin 2024.
Nous ne vivons pas une crise politique mais une crise de régime. Emmanuel Macron, qui se prétendait Jupiter, a, par son narcissisme, son arrogance et son irresponsabilité, méthodiquement détruit la Ve République pour ressusciter le régime d’assemblée et la République des partis.
Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle soulignait qu’« une Constitution, c’est un esprit, des institutions et une pratique ». Il n’en reste rien. L’esprit de la Ve République résidait dans la réassurance ultime de la nation par le président et dans la restauration du pouvoir de l’État pour garantir, en toutes circonstances, la continuité et la souveraineté de la France.
Le président parade et pérore, mais n’agit pas
Aujourd’hui, le président de la République concentre tous les pouvoirs mais n’en exerce aucun ; il parade et pérore mais n’agit pas, chef d’un État obèse et impuissant dont la faillite financière s’affirme comme un risque existentiel pour notre pays.
Les institutions comportaient une nature duale, à la fois présidentielle et parlementaire.
La France n’a plus aujourd’hui ni gouvernement pour conduire la politique de la nation – et ce, d’autant qu’il organise sa propre impuissance en renonçant à ses moyens d’action à l’image de l’engagement de sa responsabilité sur le fondement de l’article 49-3 – ni Parlement pour voter les lois, contrôler l’exécutif et impulser le débat public.
La pratique équilibrait les pouvoirs éminents confiés au président, uniques au sein des démocraties, par sa responsabilité devant les Français, mise en œuvre par le général de Gaulle en 1969 avec sa démission immédiate après l’échec du référendum sur la création des régions et la rénovation du Sénat.
Désormais, après l’escamotage du débat présidentiel de 2022, plus Emmanuel Macron et ses proches perdent les élections, plus ils monopolisent postes, fonctions et apanages de la République.
Le renoncement de Sébastien Lecornu, aussi piteux qu’inéluctable, illustre la désintégration du système et de la classe politiques de notre pays, totalement déconnectés de la défense des intérêts de la France, des besoins des Français, des réalités d’un monde en révolution. L’échec de Sébastien Lecornu était écrit.
Mais ce qui reste stupéfiant, c’est que, comme tous ses prédécesseurs depuis 2022, il a consacré l’essentiel de son temps à des jeux d’appareil sans jamais traiter les maux d’une France en faillite.
Avant Emmanuel Macron, la France décrochait lentement mais sûrement ; depuis Emmanuel Macron, elle s’effondre. Effondrement démographique avec une fécondité revenue à 1,61 enfant par femme et un solde naturel de la population négatif en 2025 pour la première fois depuis 1945.
Effondrement économique, avec une croissance potentielle inférieure à 1 %, une productivité en chute de 6 % depuis 2019, l’envolée des faillites et l’exode des entrepreneurs, le creusement du déficit commercial, qui culmine à 43 milliards d’euros pour le premier semestre 2025.
Effondrement social, avec une remontée du chômage à 7,5 % et la paupérisation massive de la population et des territoires (PIB par habitant stagnant à 42 185 euros, contre 50 764 euros en Allemagne). Effondrement financier, avec une dette de 3 416 milliards d’euros, soit 115,6 % du PIB, parfaitement insoutenable dès lors que les taux d’intérêt (3,6 %) sont désormais supérieurs à la croissance nominale (2,5 %).
Effondrement sécuritaire, avec la contagion de la violence qui sort de tout contrôle et monte aux extrêmes. Effondrement militaire, avec un système de défense réduit et sous-financé, incapable de remonter en puissance, de convertir un modèle de corps expéditionnaire en une armée apte au combat de haute intensité, de se moderniser pour intégrer la robotisation du champ de bataille.
Effondrement diplomatique, avec la marginalisation de notre pays en Europe, sa mise à l’écart en Ukraine et au Moyen-Orient, l’expulsion d’Afrique et l’humiliation par l’Algérie en raison du fossé qui s’est creusé entre les ambitions de la France et l’annihilation de ses moyens de puissance.
Une France qui étouffe
La paralysie de l’autorité et de la décision publiques intervient au pire moment pour la France comme pour l’Europe, qui affrontent la configuration la plus dangereuse depuis les années 1930.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, l’histoire du XXIe siècle a basculé. Un nouvel âge des empires s’est ouvert, structuré autour de zones d’influence où la force prime le droit. La paix est impossible et la guerre omniprésente, sur fond de libération de la violence et de décomposition des institutions et des règles qui la contenaient.
La mondialisation a éclaté en blocs économiques, commerciaux et monétaires entre lesquels il n’existe plus de régulation autre que les rapports de puissance et l’arsenalisation des échanges, des flux de capitaux, des technologies, de l’énergie et des matières premières. L’Europe, qui prétendait fonder la paix sur le commerce et le droit et qui misait sur la taille de son marché pour asseoir son influence politique, se trouve menacée de vassalisation.
Elle est prise en étau entre une Amérique illibérale et prédatrice, la menace existentielle de la Russie, le dumping industriel de la Chine et les ambitions impériales de la Turquie.
L’instabilité politique chronique et la désintégration des institutions de la Ve République font de la France l’homme malade d’une Europe qui s’adapte à la nouvelle donne mondiale au nord comme au sud, à l’est comme en Allemagne, où Friedrich Merz a engagé la refonte drastique du modèle mercantiliste et pacifiste. Notre pays est la première victime des présidences ruineuses d’Emmanuel Macron.
L’économie et la société sont mises à l’arrêt par le blocage de l’État, qui accapare 57 % du PIB et a mis en place un carcan réglementaire et fiscal qui étouffe les entreprises et les citoyens. La crise financière s’accentue depuis l’avortement du gouvernement de Sébastien Lecornu, avec des taux d’intérêt qui dépassent désormais ceux de l’Italie et sont les plus élevés de la zone euro.
Comme au début des années 2010, le choc de défiance est en passe de gagner l’ensemble de la zone euro, tandis que la Russie, en grande difficulté sur le plan économique comme sur le plan militaire, se voit offrir un répit par l’affaiblissement et la division de l’Union créés par la déconfiture de la France.
Dans un moment critique pour l’Europe – qui doit choisir entre sa soumission et un nouveau partage entre les États-Unis et la Russie ou bien la voie de la puissance –, le discrédit de notre pays et la crainte qu’inspire sa dérive financière ruinent le projet d’une Europe politique et autonome sur le plan stratégique.
[…]
(Chronique parue dans Le Point du 8 octobre 2025.)
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