La troisième conférence des Nations unies sur l’océan, qui s’ouvre ce lundi à Nice, revêt une importance cruciale. Les mers constituent un enjeu vital pour la sécurité économique, numérique, énergétique et alimentaire des nations.
Le 9 juin, en présence d’Emmanuel Macron et de Lula, s’ouvre à Nice la troisième conférence des Nations unies sur l’océan organisée par la France et le Costa Rica. Elle nous rappelle que notre planète est appelée à tort la Terre, alors que 71 % de sa surface est occupée par la mer. Jamais la formule de sir Walter Raleigh selon laquelle « qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse tient le monde lui-même » n’a paru plus juste. Les océans jouent en effet un rôle décisif non seulement dans les échanges mais dans les infrastructures de l’économie mondialisée, dans la géopolitique de la nouvelle ère des empires et dans la préservation de la vie.
La mer nourrit 3 des 8 milliards d’hommes. Elle abrite 90 % des réserves d’hydrocarbures et 84 % des gisements de minerais, de métaux et de terres rares. Elle constitue une source inépuisable d’énergies renouvelables. Elle détermine le site des mégalopoles qui structurent le système mondial et 60 % de l’humanité vit à moins de 20 kilomètres des côtes. Elle abrite les réseaux qui innervent notre planète, du transport de 90 % des marchandises en volume – dont le rôle crucial dans les chaînes logistiques a été mis en pleine lumière par l’épidémie de Covid – aux pipelines et gazoducs en passant par les quelque 500 câbles qui assurent le fonctionnement de l’économie numérique en réalisant 99 % des transferts de données.
Les mers constituent ainsi un enjeu vital pour la sécurité économique, numérique, énergétique et alimentaire des nations comme pour les ambitions de puissance des empires qui entendent se partager la planète et pour les conflits armés dont le nombre est au plus haut depuis 1945. En témoignent les combats pour le contrôle de la mer Noire dans la guerre d’Ukraine ou pour celui de la mer Rouge dans les affrontements du Moyen-Orient, ou encore les projets d’annexion de la mer de Chine et de Taïwan par Pékin, de patrie bleue portée par la Turquie d’Erdogan, de mainmise sur l’Arctique par la Russie, d’appropriation du Canada, du Groenland, du canal de Panama ou du golfe du Mexique par Donald Trump. Simultanément, les mers s’affirment comme le lieu privilégié de tous les trafics, des drogues aux migrants en passant par les armes et le contournement des sanctions internationales via la flotte fantôme russe.
Le premier régulateur du climat
Enfin, les océans demeurent le premier régulateur du climat et le plus grand gisement de la biodiversité. Ils produisent 70 % de l’oxygène, absorbent 90 % de la chaleur et 26 % des émissions de carbone produites par les activités humaines. Ils sont aussi le refuge de 1 à 3 millions d’espèces qui peuplent les très grandes profondeurs. Le destin de l’humanité à l’âge de l’histoire universelle dépend donc très largement des océans. Pourtant, ils n’ont jamais été aussi vulnérables, menacés et dangereux. Il existe aujourd’hui une crise océanique spécifique, qui aggrave les dérèglements climatiques, les tensions internationales et l’effondrement de toute forme d’ordre mondial.
Le premier péril qui pèse sur les océans provient du réchauffement climatique. La température des mers a augmenté d’un degré Celsius depuis le XIXe siècle, atteignant en 2023 et 2024 des records de 21,1 degrés en surface, ce qui entraîne une hausse de leur niveau (7,6 millimètres en 2023) et leur acidification, détruisant la biodiversité et les récifs coralliens. La pollution constitue le deuxième fléau, notamment par les déchets et les 150 millions de tonnes de plastiques qui flottent et constituent un 6e continent de 1,6 million de km2 entre Hawaï et la Californie. Puis viennent la surpêche, qui touche 90 % des stocks et dont les ravages sont amplifiés par le chalutage de fond, et la croissance des activités industrielles en mer, du pétrole offshore aux projets d’exploitation des métaux.
Les mers sont par ailleurs un espace privilégié d’extension de la guerre, comme on le voit avec la montée en puissance des marines, notamment de la part de la Chine et des géants du Sud, le déni de la liberté de navigation et le retour des blocus, la multiplication des attaques contre les infrastructures – de NordStream et des câbles de télécommunications au pont de Kertch -, la militarisation des grands fonds et la robotisation de la guerre sous-marine. La montée de la violence et des conflits entre États interdit ainsi d’apporter des solutions aux défis globaux que posent les océans, d’autant moins protégés qu’ils restent largement hors du droit. Le traité sur la protection de la haute mer et de la biodiversité marine dit « BBNJ », conclu en mars 2023 au terme de vingt années de négociations, constitue certes l’un des très rares accords de portée mondiale depuis le début du XXIe siècle. Mais il n’a été ratifié que par 29 d’entre eux alors que 60 sont nécessaires pour son entrée en vigueur.
L’importance cruciale du sommet de Nice
Pour toutes ces raisons, le sommet de Nice présente une importance cruciale. Son objectif devrait être de définir une stratégie globale de sauvegarde des océans autour de cinq grands axes. La création d’aires maritimes protégées couvrant 30 % de leur surface contre 8,4 % aujourd’hui, ce qui dépend de l’application du traité BBNJ. La définition d’un cadre de régulation pour les activités économiques maritimes, qui interdise la prédation pour la pêche où l’exploitation des ressources minières des fonds marins et pénalise le surtourisme, tout en encourageant l’innovation et la décarbonation du transport maritime (propulsion vélique notamment). L’amélioration de la résilience des villes et des régions côtières face aux événements climatiques extrêmes et à la montée des eaux.
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Chronique parue dans Le Figaro du 8 juin 2025