La déroute du premier ministre japonais, Shigeru Ishiba, lors des dernières élections s’explique par l’effondrement de la démographie, la paupérisation de la population et la prise de conscience du déclassement de ce pays.
Donald Trump a annoncé le 22 juillet la conclusion d’un accord commercial avec le Japon. Présenté comme historique, il associe des mesures opérationnelles et immédiates, avec une hausse des droits de douane sur les exportations japonaises fixée à 15 %, contre 25 % à l’origine, à des engagements flous concernant l’ouverture du marché japonais aux véhicules et aux produits agricoles américains ou encore l’investissement par les entreprises nippones de 550 milliards de dollars aux États-Unis.
La publication du résultat des négociations a été retardée pour ne pas compromettre les chances du PLD aux élections sénatoriales, en raison de l’opposition prévisible des agriculteurs à l’ouverture du marché aux exportations américaines.
Cela n’a pas empêché la coalition au pouvoir conduite par le premier ministre, Shigeru Ishiba, de subir une défaite cinglante, qui s’inscrit dans la continuité des revers enregistrés aux élections législatives d’octobre 2024 comme aux élections pour le gouvernorat de Tokyo. N’ayant obtenu que 122 sièges sur 248, elle est désormais minoritaire dans les deux Chambres, situation inédite depuis 1955.
«La démission du premier ministre japonais est inéluctable à terme»
Ce scrutin marque une accélération spectaculaire de la crise de la démocratie japonaise. Compte tenu de la fragmentation de l’opposition et de l’absence de coalition alternative, le PLD devrait continuer à diriger un gouvernement minoritaire, qui négociera au Parlement des accords opportunistes pour assurer sa survie. La démission du premier ministre est inéluctable à terme mais sera vraisemblablement décalée, faute de successeur. Le système politique devient ainsi de plus en plus instable et impotent.
La nouveauté découle, pour la première fois depuis 1945, de la percée d’un parti populiste à la droite du PLD. Le Sanseito, dont la devise est « le Japon d’abord », a remporté 15 sièges. Fondé il y a cinq ans durant la pandémie de Covid autour de l’hostilité à l’OMS et à l’industrie pharmaceutique, il est dirigé par Sohei Kamiya, transfuge du PLD, qui lui a donné une ligne nationaliste, isolationniste et résolument hostile à l’immigration.
Il a su mobiliser une partie de l’électorat traditionnel du PLD ainsi que nombre d’électeurs qui avaient renoncé à voter grâce à une utilisation très efficace et intense des réseaux sociaux, notamment YouTube.
Trois raisons se conjuguent pour expliquer la déroute du PLD.
Les conséquences de l’effondrement de la démographie tout d’abord. Avec une fécondité réduite à 1,2 enfant par femme, la population du Japon diminue depuis 2011 et chutera de 123 à 63 millions d’ici à 2100. La population active n’est stabilisée autour de 70 millions de personnes que par la mobilisation des femmes et des seniors, mais aussi par le recours à l’immigration. Le nombre d’étrangers reste très faible, limité à 3,77 millions fin 2024, mais il a augmenté de 10,5 % en un an.
La paupérisation de la population ensuite, provoquée par trois décennies de déflation qui ont bloqué la croissance (0,1 % en 2024) et laminé les salaires, désormais quatre fois inférieurs à ceux des États-Unis. La chute du pouvoir d’achat a été amplifiée par l’écroulement du yen de 40 % – qui fait le bonheur des entreprises exportatrices et de la Bourse de Tokyo mais le malheur des consommateurs – et par le renouveau de l’inflation depuis 2022. Elle atteint 3,5 % par an, avec une envolée de 65 % du prix du riz et de 20 % de celui de l’électricité.
Les Japonais n’ont ainsi plus les moyens de voyager à l’étranger ; en revanche, ils assistent au développement d’un tourisme de masse dans leur pays – désormais le moins cher du monde développé -, avec 3,7 millions de voyageurs en mai 2025, en hausse de 21,5 % par rapport à mai 2024, ce qui aiguise leur sentiment de dépossession.
« Le Japon se découvre vulnérable et désarmé »
La prise de conscience du déclassement du Japon enfin, qui a été supplanté par la Chine comme deuxième économie mondiale en 2010, puis par l’Allemagne comme troisième en 2023, avant de céder en 2024 à cette même Allemagne la position de premier créancier de la planète qu’elle occupait depuis trente-quatre ans (3 250 milliards d’euros contre 3 500 milliards).
Loin d’être conjoncturelles, ces difficultés renvoient à l’implosion du modèle qui a fondé la reconstruction du Japon à partir de 1945. Ses principes sont restés inchangés : une démocratie encadrée par un très fort niveau de contrôle politique et social ; une économie tournée vers l’exportation de produits industriels et l’Amérique – qui absorbe 20% de ses exportations pour plus de 150 milliards de dollars -, partiellement libéralisée mais restant sous l’emprise de l’État ; le choix du pacifisme inscrit dans l’article 9 de la Constitution de 1946, réassuré par l’alliance avec les États-Unis et leur garantie de sécurité – matérialisée par la présence de 50.000 soldats, de la 7e flotte forte de 60 à 80 bâtiments et de 250 avions de combat de dernière génération dans l’Archipel.
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(Chronique parue dans Le Figaro du 29 juillet 2025)