– TRIBUNE –
La décision du tribunal judiciaire de Paris condamnant Nicolas Sarkozy a été aussi largement commentée que peu lue, pointe l’avocat et essayiste.
Pour y remédier, et alors que l’ancien président de la République sera incarcéré à partir de ce mardi, il propose un commentaire étayé de larges extraits du jugement.
Le 25 septembre 2025, le tribunal judiciaire de Paris, dans l’affaire dite du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, a condamné Nicolas Sarkozy à une peine de cinq ans de prison assortie d’une exécution provisoire pour association de malfaiteurs, tout en le relaxant des chefs de recel de détournement de fonds publics, de corruption passive et de financement illégal de campagne électorale.
L’ancien président de la République, sans le moindre recours possible, est ainsi incarcéré à la prison de la Santé à compter de ce mardi.
La décision a été aussi largement commentée que peu lue, notamment du fait de son format inhabituel de 380 pages. Cette longueur s’explique par le fait que le tribunal se prononce sur de nombreuses infractions connexes auxquelles l’ancien président est totalement étranger.
La justice étant rendue au nom du peuple français, il paraît utile que les citoyens puissent se faire leur opinion. Les lecteurs du Figaro trouveront ainsi ci-après les extraits décisifs du jugement. Ils pourront les examiner à la lumière des principes fondamentaux de l’État de droit qui ont été fixés par quatre articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 :
- Article 7 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par résistance. »
- Article 8 : « La loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
- Article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
- Article 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
La compétence du tribunal judiciaire de Paris
- Page 19 : « Les délits reprochés, à les supposer constitués, portent sur la recherche auprès du régime libyen d’un financement illégal de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, reposant sur un pacte de corruption qui aurait été noué entre le candidat à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, et le régime libyen, Mouammar Kadhafi au premier chef. Dès lors, la relation de corruption serait établie entre, non pas le ministre, mais le candidat futur à l’élection présidentielle et le gouvernement libyen. Il aurait été aidé en cela par Brice Hortefeux, agissant non en qualité de ministre, mais de soutien au candidat, contribuant au pacte corruptif et à sa mise en œuvre. Ces faits, à les supposer établis, sont sans lien direct avec la conduite des affaires de l’État, relevant de leurs attributions, quoi qu’ils aient pu être commis concomitamment à l’exercice de celles-ci. Il s’en déduit dès lors l’absence de tout lien entre les faits poursuivis et la fonction ministérielle de Nicolas Sarkozy. »
Les déplacements en Libye, à l’automne 2005, de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant sont au cœur du débat. Le tribunal en analyse longuement les motifs, les préparatifs, le contenu, les suites, les compare avec des déplacements analogues de ministres à l’étranger, examine leur continuité avec la politique étrangère conduite par Jacques Chirac. L’article 68-1 de la Constitution précise que « les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. » Dès lors que le tribunal reconnaît que ces déplacements sont justifiés par les fonctions ministérielles de Nicolas Sarkozy, seule la Cour de justice de la République est autorisée à affirmer que les conditions de leur déroulement ne relèvent pas des affaires de l’État et sont dissociables des responsabilités gouvernementales qu’il exerçait.
La note dite « Moussa Koussa » publiée par Mediapart et les déclarations des anciens dignitaires libyens et de Ziad Takieddine
- Page 223 : « La procédure permettait de retrouver une dépêche AFP du 4 mai 2012 selon laquelle Mustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition, avait estimé que la note était fausse et fabriquée, et qu’aucune référence à cette note n’apparaissait dans les archives libyennes. Les enquêteurs de la section de recherche de Paris concluaient à la forte probabilité que le document publié soit un faux. »
- Pages 328 à 330 : « Les accusations initiales de corruption portées par les dignitaires du régime déchu de la grande Jamahiriya libyenne ont été relayées par un grand nombre de ressortissants libyens, mais également par Ziad Takieddine. (…) Force est cependant de constater (…) (que) les déclarations des dignitaires libyens sont intervenues dans le contexte de l’intervention de la coalition en Libye, postérieurement aux déclarations d’Alain Juppé et Nicolas Sarkozy appelant au départ de Mouammar Kadhafi, puis à la reconnaissance du CNT par le président de la République. L’ambassadeur Gouyette a souligné à cet égard que les Libyens étaient furieux. (…) Aucune archive, manuscrite, tapuscrite ou sonore, venue de Libye relative au financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par cet État n’a été mise à jour, alors qu’il semble que certaines d’entre elles aient survécu à la guerre en Libye (…) et qu’il soit plausible qu’il y ait eu une pratique de l’enregistrement par ce régime, ce qui ressort de plusieurs témoignages. (…) S’agissant des témoignages recueillis auprès d’autres Libyens, ils sont souvent imprécis, manquant de cohérence entre eux (…), dans une très grande majorité indirects, les témoins se contentant de rapporter des propos qu’auraient tenus Mouammar Kadhafi ou ses proches. (…) Le tribunal doit analyser les déclarations de Ziad Takieddine et notes contenues dans ses archives, qui ont tenu une place importante dans les investigations. Les déclarations de l’intéressé ont pu être extrêmement variables. Au sein d’une même déclaration, il a pu mêler des informations vraies et d’autres fausses. (…) Nombre de ses déclarations se sont avérées mensongères. (…). Le tribunal rappelle que dans le cas du dossier “Karachi” sa condamnation porte, entre autres, sur des faits de faux témoignages, d’une gravité certaine. (…) Certaines notes contiennent des projets (…) qui ne relèvent que de son imagination. »
Le tribunal établit que la note publiée par Mediapart qui se trouve à l’origine du dossier est un faux. Il considère les déclarations des anciens dignitaires du régime déchu et de l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine comme non crédibles et dépourvues de force probante. Or ces anciens dignitaires et cet intermédiaire sont les seuls à soutenir que Nicolas Sarkozy, par l’intermédiaire de ses collaborateurs, aurait négocié, à l’automne 2005, avec le régime libyen, un financement illégal de sa campagne électorale.
Politique extérieure de la France et pacte de corruption
Page 340 : « Il résulte de ce qui précède que tant la relance de la coopération diplomatique avec la Libye que la visite de Mouammar Kadhafi en France ne paraissent pas après 2007 d’une nature et d’une intensité différente de ce qui s’est pratiqué dans d’autres pays, ou sous le quinquennat de Jacques Chirac. Elles semblent s’inscrire dans un contexte international favorable à ce pays et dans la continuité de ce qui avait été déjà entrepris. Le simple engagement de s’inscrire dans cette continuité est néanmoins susceptible de constituer un élément du pacte corruptif. »
Le tribunal, en violation du principe de séparation des pouvoirs et en contradiction avec sa propre décision reconnaissant l’immunité attachée à la fonction de président de la République, juge de la politique étrangère de la France.
Contre toute logique, il considère que la continuité de la politique étrangère de la France entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy et son alignement sur celle du reste de la communauté internationale sont des éléments à charge en faveur de l’existence d’un projet de pacte de corruption.
La preuve du délit d’association de malfaiteurs
- Page 358 : « Le soin particulier que Claude Guéant et Brice Hortefeux ont mis à présenter Nicolas Sarkozy comme étant étranger à ce processus corrobore au contraire le fait qu’il en était parfaitement informé. »
Le fait de nier une accusation vaut preuve de la culpabilité. Le raisonnement s’inscrit dans la lignée d’Andreï Vychinski, procureur général de l’Union soviétique durant les procès de Moscou de 1938, qui qualifiait le juge d’« ingénieur des esprits » et affirmait que « la justice n’est pas faite pour protéger l’individu contre l’État, mais pour protéger l’État contre l’individu ».
La culpabilité
- Page 362 : « (Est déclaré coupable), pour avoir, entre 2005 et le 15 mai 2007, (…) participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation du délit de corruption active et passive d’agent public, Nicolas Sarkozy : en ayant, alors qu’il était ministre, président de l’UMP et candidat à l’élection présidentielle, mais agissant ainsi en dehors de ses fonctions, laissé ses plus proches collaborateurs et soutiens politiques sur lesquels il avait autorité et qui agissaient en son nom, à savoir Claude Guéant (directeur de cabinet, directeur de campagne) et Brice Hortefeux (membre du bureau politique et secrétaire général de l’UMP) et des intermédiaires officieux, tels que Ziad Takieddine : agir afin d’obtenir des soutiens financiers en vue du financement de sa campagne électorale ; se rencontrer de manière confidentielle en France ou en Libye (…) ; rencontrer des collaborateurs officiels de Mouammar Kadhafi (…) ; organiser des transferts de fonds publics de la Libye vers la France (…) ; et envisager des contreparties diplomatiques (le retour de la Libye sur la scène internationale, l’invitation de Mouammar Kadhafi en France), économiques (engagement sur le nucléaire civil) et juridiques (promesse de levée du mandat d’arrêt d’Abdallah Senoussi). »
L’association de malfaiteurs n’est le produit d’aucune action positive de Nicolas Sarkozy, qui n’est l’auteur d’aucune infraction.
Elle est le produit d’une simple abstention, celle d’avoir laissé faire des proches alors qu’il n’existe aucune preuve ni qu’il était informé des rencontres de Claude Guéant et Brice Hortefeux avec Abdallah Senoussi ou d’autres intermédiaires, ni même que ses proches aient effectivement négocié ou envisagé de négocier un financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy par la Libye.
Il est par construction impossible d’apporter la preuve d’un fait qui n’a pas eu lieu. La culpabilité ne peut découler d’un faisceau d’indices que si ceux-ci sont solides. À défaut, le doute doit profiter à l’accusé.
La peine
- Page 376 : « S’il est exact qu’il n’y a pas eu d’accroissement direct et immédiat de son patrimoine, l’association de malfaiteurs avait pour but de lui procurer un avantage dans la campagne électorale et de lui permettre d’accéder à la plus haute fonction et de l’exercer pendant cinq années. Il s’agit donc de faits d’une gravité exceptionnelle, de nature à altérer la confiance des citoyens dans ceux qui les représentent et sont censés agir dans le sens de l’intérêt général, mais aussi dans les institutions mêmes de la République. Ces éléments rendent nécessaires le prononcé d’une peine d’emprisonnement sans suris, toute autre sanction étant inadéquate. (…) En outre, le prononcé d’une amende 100.000 euros est proportionné à la gravité des faits et au patrimoine, revenus et charges dont le condamné a justifié. Il y a également lieu de prononcer les peines d’interdiction de toute fonction publique pendant cinq ans et de privation des droits civils, civiques et de famille limitée au droit d’éligibilité pendant cinq ans. »
La peine obéit à une logique d’exemplarité et non de nécessité. Elle n’est pas fondée sur la légalité, donc sur le droit, mais sur l’exemplarité, donc sur la morale. La confiance des citoyens dans leurs représentants relève des citoyens eux-mêmes à travers leur vote et non de l’autorité judiciaire.
(…)
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(Chronique parue dans Le Figaro du 20 octobre 2025)
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