Au sein de l’Union européenne, la France cumule plusieurs handicaps qui en font une véritable bombe à retardement.
La situation de la France montre un étonnant paradoxe. De relatif, le déclin est devenu absolu avec la baisse de 1 % du PIB en volume, la destruction de plus de 500 000 emplois privés qui a ramené le nombre de postes de travail en dessous de 16 millions, la baisse de 16 % de la production industrielle et la chute des exportations. Le choc fiscal de plus de 2 % du PIB infligé à un appareil de production exsangue a amorcé une spirale déflationniste à l’intérieur tout en coupant les entreprises de leurs financements internationaux, en recul de 35 % en 2012. La chute libre de l’économie française contraste avec la lente mais réelle amélioration des pays du sud de l’Europe grâce aux réformes engagées : hausse de 20 % des exportations et premiers signes d’une décrue du chômage en Espagne ; excédent budgétaire primaire et surplus commercial en Italie ; stabilisation en Grèce.
Mais dans le même temps, la dette publique française continue à bénéficier de conditions très avantageuses, avec des taux d’intérêt qui restent à la fois très bas (2,45 %) et proches de l’Allemagne (1,80 %). Cette déconnexion entre le financement de la dette publique et les performances économiques de notre pays s’explique par une configuration inédite des marchés financiers.
D’un côté, les politiques monétaires non conventionnelles dites de quantitative easing mises en place aux États-Unis en 2008 et au Japon depuis 2012 déversent des flux massifs de liquidités vers les émergents mais aussi vers l’euro, qui présente la double caractéristique d’être une devise du monde développé et la seule monnaie internationale fortement surévaluée. Au sein de la zone euro, ces liquidités s’investissent en priorité dans la dette française dès lors que l’Allemagne, du fait de son retour à l’équilibre budgétaire, émet peu et avec des taux négatifs très pénalisants tandis que les signatures italiennes et espagnoles continuent à présenter des risques élevés.
De l’autre, la France exerce sur les marchés un chantage en tout point comparable aux grandes banques, dont les stratégies sont d’autant plus risquées qu’elles se savent immunisées contre la faillite par leur impact systémique. La déstabilisation de la dette française est indissociable d’une relance de la crise des risques souverains et d’une implosion de la zone euro dont nul ne sait maîtriser les conséquences dans l’environnement actuel, caractérisé par la faiblesse de la croissance, le chômage de masse, le surendettement public et privé. La signature française ne tient donc pas à la solvabilité très douteuse du pays mais aux conséquences ravageuses de sa dégradation pour la zone euro et pour l’économie mondiale.
Face à cette situation instable et dangereuse, la France devrait utiliser la fenêtre que lui accordent les marchés pour mettre en œuvre les réformes permettant de restaurer sa compétitivité : hausse du taux de marge des entreprises par la baisse des impôts et des charges pesant sur le travail ; ouverture des secteurs protégés ; sortie des 35 heures et libéralisation du marché du travail ; formation et insertion des jeunes ; baisse des dépenses publiques par la réforme de l’État et du millefeuille territorial. La politique conduite est exactement contraire qui consiste à tirer tous les dividendes d’une configuration de marché anormale pour sanctuariser un modèle économique et social caduc.
La France qui cumule la déliquescence de son économie, la perte de contrôle d’une dette qui atteindra 96 % du PIB en 2014 et un rôle clé dans la zone euro présente désormais toutes les caractéristiques d’un risque systémique. L’inquiétude croissante qu’elle suscite en Europe et dans le monde est justifiée. Car le sursis qui lui est accordé est limité dans le temps et l’environnement qui le fonde de plus en plus fragile.
Une nouvelle donne pointe en effet dans l’économie mondiale, qui pourrait tarir le flot de liquidités dont bénéficie la France. La croissance ralentit fortement dans les pays émergents qui doivent reprendre le contrôle de la bulle de la dette publique qui s’est créée en Chine (190 % du PIB), au Brésil (90 % du PIB) ou en Inde (80 % du PIB). Aux États-Unis, la consolidation de la reprise et l’apparition d’une bulle spéculative sur Wall Street ont justifié l’alerte lancée par la Fed qui, à défaut de réduire ses opérations de rachat d’actifs, a rappelé que la maîtrise des prix et de la monnaie continuait à figurer parmi ses objectifs à côté de la croissance et du plein emploi. Enfin, le doublement de la masse monétaire planifié au Japon par les Abenomics peine à relever l’économie réelle, alimentant l’instabilité financière sur les marchés de la dette souveraine. Pour toutes ces raisons, et même si les banques centrales du monde développé se garderont de toute sortie brutale des politiques non conventionnelles pour éviter un nouveau krach, le temps de la liquidité gratuite et illimitée est derrière nous.
Par ailleurs, le chantage à la survie de l’euro rencontre des limites. Économiques tout d’abord, tant la solvabilité de la France va se révéler compromise par l’enfermement dans la récession et le chômage de masse, la poursuite de la dégradation de la balance commerciale et des comptes publics sous l’effet de la baisse des recettes publiques provoquée par une fiscalité confiscatoire et de la course folle des dépenses publiques. Politiques ensuite, tant la stratégie isolationniste de la France fondée sur le refus des réformes ne peut qu’exacerber les tensions entre les gouvernements de la zone euro et aviver la révolte des peuples du Sud contre l’austérité comme la révolte des peuples du Nord contre une solidarité incontrôlée qui entretient le laxisme et encourage les risques qu’elle est censée prévenir.
Du fait de la monnaie unique et de la mondialisation, le déclin économique français et le risque d’un choc sur la dette publique ne menacent pas seulement notre pays mais la zone euro et le capitalisme universel à peine convalescent. Voilà pourquoi le gouvernement français devrait rompre avec l’attitude suicidaire qui consiste à consacrer toute son énergie à refuser les réformes que lui demandent de manière unanime le FMI, la Commission européenne, la BCE, la Banque de France et la Cour des comptes et qui sont seules à même d’assurer le redressement économique de la France et, partant, d’endiguer la poussée du populisme et de l’extrémisme.
(Chronique parue dans Le Figaro du 1er juillet 2013)