La France ne doit pas rater ce marché estimé à 200 milliards de dollars en 2020.
L’éducation jouera un rôle clé dans l’économie de la connaissance du XXIe siècle. Elle permet la constitution, l’accumulation et la transmission du capital humain, donc les gains de productivité du travail qui décideront de la reconstitution de l’appareil productif des pays développés comme de la capacité des pays émergents à poursuivre leur développement. Elle conditionne l’innovation, donc la principale source de croissance aux côtés de la consommation des nouvelles classes moyennes du Sud. Elle décide largement du niveau de l’emploi dès lors qu’elle demeure un antidote au chômage et se révèle décisive dans la lutte contre l’exclusion et les inégalités. Elle constitue l’une des réponses au vieillissement à travers la formation tout au long de la vie, indispensable à l’allongement et à la diversification des carrières professionnelles.
L’éducation supérieure a connu trois grandes transformations depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : la démocratisation, avec l’évolution vers un enseignement de masse dans les pays développés ; l’ouverture internationale et la normalisation des cursus universitaires (licence, maîtrise, doctorat) ; la mondialisation, qui a vu en 2012 les pays émergents former 73 millions de diplômés, contre 69 millions pour les pays développés.
Pour autant, les institutions, l’organisation et les méthodes de l’enseignement supérieur restent largement ancrées dans les principes élaborés en Europe au XIXe siècle, ce qui soulève de plus en plus de difficultés. La percée des universités chinoises ne remet que partiellement en question le quasi-monopole de l’Occident dans les pôles d’excellence mondiaux. D’où une difficulté d’accès aux formations les plus réputées, notamment pour les populations, les pays et les continents les plus pauvres – notamment en Afrique. La hausse du nombre de diplômés du supérieur de 4,5 % dans les pays développés ne parvient pas à répondre au déficit des qualifications dans les secteurs d’avenir et aux besoins de formation permanente pour prolonger la vie active – et ce d’autant que les cursus sont peu compatibles avec les exigences d’une activité professionnelle ou les contraintes familiales qui pèsent en priorité sur les femmes. L’organisation hiérarchique des institutions universitaires et les méthodes pédagogiques traditionnelles se révèlent en porte-à-faux avec les idéaux et les mœurs d’une jeunesse ouverte sur le monde et vivant au rythme des réseaux sociaux.
Au même moment, le modèle économique de l’enseignement supérieur se trouve déstabilisé. Les coûts des formations s’envolent : aux États-Unis, ils atteignent 25 000 dollars par an en moyenne, soit une hausse, en dix ans, de 42 % dans les établissements publics et de 31 % dans les établissements privés. Or les financements publics et privés rencontrent des limites évidentes. Les budgets publics, qui représentent en moyenne dans l’OCDE 6,1 % du PIB, dont 1,5 % pour le supérieur, peuvent difficilement continuer à croître alors que la dette publique culmine à 111 % du PIB. La hausse des frais de scolarité nourrit par ailleurs aux États-Unis une bulle des emprunts pour étudiants dont l’encours dépasse 1 100 milliards de dollars, et ce alors que les taux d’intérêt sont en passe de doubler : Barack Obama et sa femme, Michelle, n’ont ainsi achevé de rembourser la dette contractée pour leurs études qu’en 2004. Par ailleurs, l’installation d’un chômage de masse dans les pays développés, qui frappe fortement les jeunes, comme l’instabilité et la discontinuité croissantes des carrières remettent en question la rentabilité de l’investissement dans les diplômes. Avec, pour conséquence, la montée des défauts sur les emprunts pour étudiants dont le taux atteint 11 % aux États-Unis.
L’enseignement en ligne ou MOOC, pour massive open online courses, constitue une révolution qui n’en est qu’à ses débuts mais peut aider à relever ces défis. Elle s’effectue en trois temps : la mise en ligne des cours magistraux des professeurs les plus réputés qui a commencé au MIT dès 2000 ; l’organisation de cursus complets et leur validation sur Internet ; la création d’universités en ligne dont les pionniers sont Coursera, qui propose à 3,8 millions d’étudiants situés dans 196 pays 380 cours issus de 80 universités, edX (50 cours de 27 institutions d’excellence) ou Udacity.
L’enseignement en ligne autorise un très large accès aux institutions et aux enseignements d’excellence pour un coût marginal par étudiant. L’inscription aux cours est gratuite ; seule l’inscription à l’examen est payante, mais pour un coût très modéré (de 30 à 50 dollars). La pédagogie est bouleversée par la réorganisation des cours en modules et leur production devant les caméras. Le professeur et la classe, loin de disparaître, voient leur rôle transformé. Le professeur n’est pas remplacé par un robot mais effectue la production et la transmission du savoir en amont. Les étudiants acquièrent les connaissances avant la classe virtuelle, qui devient un lieu de tutorat et d’interaction entre professeur et élèves. La flexibilité de l’organisation facilite l’ouverture à la recherche ou à l’entreprise, comme la formation permanente. En un mot, l’enseignement en ligne peut rompre avec le malthusianisme et l’inflation des coûts en réconciliant l’excellence des institutions et des formations avec une ouverture large de l’accès au savoir.
Voilà pourquoi la France doit investir sans tarder dans un secteur d’avenir dont le chiffre d’affaires pourrait représenter 200 milliards de dollars à l’horizon de 2020. Notre pays dispose d’importants atouts pour ne pas en abandonner le monopole aux géants américains en gestation : des grandes écoles et des universités qui sont à la fois des pôles d’excellence et des marques reconnues mondialement ; un formidable réservoir de capital humain ; des sociétés de services informatiques dynamiques ; enfin, le français, troisième langue dans le monde, qui unit 220 millions de personnes aujourd’hui mais qui en unira plus de 800 millions en 2050. Il est donc grand temps de repenser l’enseignement supérieur comme un secteur productif à forte valeur ajoutée, intensif en technologie, tourné vers l’excellence et l’exportation.
Avec l’économie de la connaissance, l’éducation devient un droit fondamental de la personne humaine. L’Occident n’en a plus le monopole, mais peut continuer à jouer un rôle majeur dans l’universalisation de l’accès au savoir. La France, qui a subi en spectateur les grandes transformations de la mondialisation et de l’après-guerre froide, doit se positionner comme un acteur à part entière de la révolution de l’éducation en ligne.
(Chronique parue dans Le Point du 11 juillet 2013)