Sans une thérapie de choc, la France ratera le train de la reprise économique et deviendra l’homme malade de l’Europe.
Gouverner, c’est prévoir. Rien ne paraît de prime abord plus légitime que la réflexion lancée par le président de la République sur la France en 2025. Mais pour être utile, la prospective doit réaliser un état des lieux réaliste du présent, évaluer les atouts et les faiblesses, analyser l’environnement, définir des scénarios pour déboucher sur une stratégie et un plan d’action. Tout autre est la méthode retenue qui se contente de dresser le tableau irénique d’une France souveraine et influente, d’un pays d’excellence par sa production et par l’innovation, d’une nation unie et rassemblée.
Rien ne justifie cet optimisme quiet. À court terme, la sortie de récession ne fait pas une reprise durable. Le retour à la croissance s’explique majoritairement par un restockage technique des entreprises (+ 0,2 %) et par la consommation contrainte d’énergie en raison des circonstances climatiques (+ 0,1 %). Les trois moteurs décisifs de la reprise demeurent bloqués. L’investissement des entreprises continue à régresser (- 0,1 %). Les faillites augmentent, tandis que le nombre d’emplois marchands poursuit sa chute, le ralentissement de la hausse du chômage n’étant dû qu’à la multiplication des emplois aidés dans le secteur public qui sont intégralement financés par la dette. Enfin, la chute de la compétitivité n’est nullement enrayée et les pertes de parts de marché à l’exportation se poursuivent.
La situation économique de la France est dominée par des incertitudes persistantes qui entravent la croissance et l’emploi. Emballement de la fiscalité avec des recettes publiques qui vont culminer à 53 % du PIB en 2014 et exubérance irrationnelle de la réglementation. Lente mais inexorable montée des taux d’intérêt appliqués à la dette publique (+ 70 points de base depuis le début du mois de mai 2013). Accélération de la décohésion sociale et sortie de tout contrôle de l’insécurité.
La reprise se dessine dans le monde développé mais bénéficiera en priorité aux pays qui ont tiré les conséquences de la crise pour continuer à améliorer ou restaurer leur compétitivité et refonder leur modèle social. Les États-Unis sont en tête avec une progression de l’activité de 2,5 % tirée par les gains de productivité du travail, la baisse du coût de l’énergie grâce aux hydrocarbures non conventionnels, l’innovation et la restructuration du secteur financier. L’Europe du Nord est idéalement positionnée du fait de sa compétitivité qualité. L’Europe du Sud va tirer profit des spectaculaires gains de compétitivité prix réalisés grâce à ses réformes.
La France est malheureusement programmée pour rater le train de la reprise mondiale et constitue le premier risque pour l’Europe et la zone euro. La croissance est nulle depuis six ans tandis que la population a augmenté de 1,5 million d’habitants, ce qui se traduit par la paupérisation des Français. L’installation durable d’une croissance de la population supérieure à celle de l’activité est caractéristique du sous-développement. La production et l’emploi marchands poursuivent leur recul. Sous l’explosion coûteuse des emplois artificiels et précaires dans le secteur non marchand, le chômage structurel de masse s’étend, ne laissant d’autre choix aux jeunes que l’exil, solution adoptée par 150 000 d’entre eux depuis 2008.
Le carcan du double déficit se resserre. Déficit commercial avec la chute de la compétitivité et la hausse du coût du travail (34 euros par heure contre 30 en Allemagne, 26 en Italie, 20 au Royaume-Uni et en Espagne). Déficit public qui excédera 4 % du PIB en 2013 du fait même d’une pression fiscale sans équivalent dans le monde développé. Dépense publique culminant à 57 % du PIB, avec des transferts sociaux insoutenables représentant 33 % du PIB et des engagements de l’État-providence allant jusqu’à 360 % du PIB. Dette qui atteindra 95 % du PIB en 2014, mettant le pays à la merci d’un choc de taux d’intérêt aux conséquences dévastatrices.
Pierre Mendès France remarquait à juste titre que « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ». La France a sacrifié sa souveraineté à un modèle social insoutenable. La dynamique du ressentiment et la violence sociale sapent le corps social, tandis que des pans entiers du territoire et de la population se sont installés en dehors de l’État de droit et des valeurs de la République. La capacité de la nation à décider d’elle-même est limitée et encadrée par ses créanciers et par ses partenaires européens, l’Allemagne au premier chef, qui garantissent de facto la dette publique française à travers l’euro. En Europe, la France se trouve reléguée en seconde division face à l’Allemagne réunifiée vers laquelle affluent les jeunes talents et les cerveaux, les capitaux et les centres de décision.
Seule une thérapie de choc peut permettre de redresser le pays. Elle passe par un pacte productif, avec le redressement du taux de marge des entreprises. Par un pacte social avec la libéralisation du marché du travail et la baisse de son coût. Par un pacte budgétaire avec une baisse de 100 milliards d’euros des dépenses publiques en cinq ans permettant d’amorcer l’indispensable diminution de la pression fiscale. Par un pacte citoyen liant intégration de la jeunesse et restauration de la sécurité publique. Par un pacte européen noué avec l’Allemagne pour relancer l’intégration du continent. À défaut, la France est promise à un rang de nation périphérique, spectatrice du monde de 2025.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 septembre 2013)